Par Julia Itel – Publié le 29/03/2023

Avec ses 31 ans de pontificat, Pie IX est le pape ayant occupé le plus longtemps le trône de Pierre. Élu en 1846, le 255e pape de l’Église catholique doit composer avec les bouleversements de son temps. En effet, le XIXe siècle est, tant pour les peuples que pour l’histoire de la papauté, une époque marquée par une forte instabilité politique. Alors, qui est Pie IX et dans quel contexte son long pontificat s’inscrit-il ?  

La papauté au XIXe siècle

Avant d’évoquer le pontificat de Pie IX, il est nécessaire de comprendre le contexte sociopolitique qui habite l’Europe du XIXe siècle et, plus spécifiquement, la papauté. Si, d’un côté, celle-ci subit de plein fouet la montée du libéralisme, elle bénéficie également d’un renouvellement de la foi lui permettant de réaffirmer l’autorité pontificale à Rome.  Ces deux phénomènes, qui représentent les deux faces d’une même pièce, vont marquer le pontificat de Pie IX.

L’Église au temps des révolutions

À l’aube du XIXe siècle, l’Église catholique est profondément affaiblie à la suite de la Révolution française et de la Terreur. Dans la douleur, l’État s’est émancipé de la tutelle de l’Église et entame un processus de déchristianisation (ou de sécularisation) : le calendrier grégorien est remplacé par celui révolutionnaire (1792 correspond désormais à l’an I), de nombreuses églises sont détruites ou profanées, leurs sculptures sont décapitées, les prêtres réfractaires sont persécutés, les biens ecclésiastiques sont nationalisés, la papauté perd Avignon et le Comtat Venaissin, annexés à la France en 1791, et les États pontificaux d’Italie centrale après la signature du traité de Tolentino en 1797 entre Bonaparte et le pape Pie VI.

Le Concordat de 1801 reconnaît le catholicisme comme la religion de « la majorité des Français », mais non plus comme religion d’État, ce qui permet de rétablir les églises et de restaurer le calendrier chrétien. 

Lors des guerres napoléoniennes et partout où elles s’arrêtent, les troupes révolutionnaires amènent avec elles les idées libérales de liberté de conscience, de l’autonomie de l’État à l’égard de la religion, ainsi que le Code civil. Ceux-ci sont adoptés par une nouvelle élite déjà plus scientifique dans l’âme qui va porter, quelques décennies plus tard, la Révolution industrielle.

Mais en 1814, lorsque Napoléon perd contre l’alliance entre la Grande-Bretagne, l’empire russe, le royaume de Prusse et l’empire d’Autriche, les cartes sont redistribuées. Les grands de l’Europe se réunissent en septembre 1814 au Congrès de Vienne pour discuter des nouveaux contours de celle-ci : Pie VII récupère les États pontificaux (à l’exception d’Avignon et du Comtat Venaissin), l’Autriche reprend le nord de l’Italie. Bien que le libéralisme continue de s’imprégner dans les esprits, le retour des monarchies condamne tout projet d’unification nationale, forçant la création de sociétés secrètes et insurrectionnels comme les carbonari en Italie puis à la révolution de 1848.

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La montée de l’ultramontanisme

En réaction aux courants révolutionnaires et, surtout, à la doctrine du gallicanisme née en France et stipulant l’autonomie de l’Église du Royaume de France par rapport au pape, se développe le mouvement catholique conservateur de « l’ultramontanisme ». Celui-ci est favorable à l’autorité absolue du pape – donc du pouvoir spirituel – sur le pouvoir politique et temporel. Il plaide alors pour un renforcement du pouvoir de la papauté et défend le principe d’infaillibilité pontificale.

Les prédécesseurs de Pie IX (Léon XII, Pie VIII et Grégoire XVI), désignés comme zelanti, partagent tous une position antilibérale et condamnent, voire répriment, les soulèvements ayant lieu dans plusieurs États pontificaux. Mais l’ultramontanisme va atteindre son apogée avec la question de la disparition des États pontificaux sous Pie IX.


L’élection de Pie IX

Un pape d’abord plutôt libéral

Pie IX, de son nom de baptême Giovanni Maria Mastai Ferretti, né en 1792, est issu d’une famille noble. S’il est un temps attiré par les voyages missionnaires – Pie VII l’envoie au Chili en 1823 comme délégué apostolique – il choisit toutefois la voie classique et est nommé archevêque de Spolète puis cardinal par Grégoire XVI. À la mort de ce dernier, en juin 1846, le conclave élit dès le quatrième tour de scrutin Pie IX pour son ton jugé plus libéral. 

Pie IX jouit d’une grande popularité dès les débuts de son pontificat. Il adopte, en effet, une série de mesures qui laissent apparaître un pape ouvert aux changements de son temps : il accepte la liberté de la presse, libère les prisonniers politiques des États pontificaux qui s'étaient insurgés et abat les murs du ghetto juif de Rome. Toutefois, ses élans sont interrompus par les événements de 1848 en Italie. 


Les révolutions de 1848

Depuis quelques décennies se développe l’idée, fortement influencée par la progression du libéralisme et de l’anticléricalisme en Europe, d’une Italie unifiée et souveraine. Alors que la plupart des États italiens sont rattachés au pouvoir monarchique autrichien, une solution est envisagée : faire du pape le président symbolique d’une nouvelle confédération italienne. 

Aiguisé par ces aspirations nationales et patriotiques, le Piémont déclare la guerre à l’Autriche. Il est demandé au pape de choisir : sera-t-il le souverain de l’Italie ou bien restera-t-il le chef de l’Église catholique universelle ? Pie IX préfère la deuxième option et garde ainsi sa neutralité ce qui affaiblit son pouvoir temporel. Sa popularité s’effondre ; son premier ministre, Pellegrino Rossi, est assassiné, le palais du Quirinal assiégé. Pie IX est contraint à fuir Rome pour Gaète, situé dans le royaume de Naples. 

Les révolutionnaires entrent alors dans Rome et prennent le pouvoir, présidé désormais par Mazzini et Garibaldi qui proclament la République romaine le 9 février 1849. Après avoir été la capitale de la chrétienté, Rome devient la capitale de la patrie italienne. Mais les souverains européens n’entendent pas en rester là. L’empire d’Autriche reconquiert les États pontificaux du nord et la France s’empare de Rome : Pie IX peut alors retourner sur ses terres.


Le tournant conservateur de Pie IX

Pour lutter contre de nouvelles insurrections, l’Autriche et la France demandent au pape de réformer la Curie. Mais Pie IX, choqué par les derniers événements, refuse et prend un tournant plus conservateur. Il rétablit ainsi le ghetto juif en 1850, condamne dans son encyclique Quanta Cura (1864) la liberté de conscience et l’autonomie du droit civil. Mais surtout, il fustige dans son Syllabus toutes les idéologies modernes comme le libéralisme et son corollaire la neutralité religieuse de l’État, le rationalisme, le socialisme, le communisme ainsi que la toute-puissance de l’État au-dessus duquel plus aucun principe transcendant ne s’impose. Vu comme un conservateur de son temps, Pie IX pressent toutefois les dérives politiques du siècle suivant…


La fin des États pontificaux

Le Piémont, écrasé par la riposte autrichienne de 1848, continue pourtant de lutter pour l’indépendance italienne. En 1859, il s’insurge à nouveau et gagne la bataille. La majorité des États italiens, dont les États pontificaux, se soulève et se rattache au Piémont. L’unité de l’Italie est en marche. Un an plus tard, il ne reste au pape que Rome et le Latium, placés sous la protection de Napoléon III. 

Mais le nouveau roi d’Italie, Victor-Emmanuel II, a des vues sur la Ville éternelle qui lui permettrait de consolider l’unité de sa jeune patrie, en tant que capitale. Il attend toutefois la défaite de Napoléon III face à Bismarck, ce qui provoque la chute du Second Empire et le retrait des troupes françaises de Rome en 1870. L’armée de Victor-Emmanuel II s’empare alors de sa nouvelle capitale et Pie IX, accablé, se déclare prisonnier de l’État italien et s’enferme au Vatican. 

La perte des États pontificaux signe la fin de l’autorité temporelle du pape. Face à l’Europe des nations qui émerge, la papauté ne peut plus rivaliser en termes de territoire. Néanmoins et de manière surprenante, les secousses qui fragilisent le monde catholique permettent au pouvoir pontifical de se renforcer à Rome. 


Pie IX et le renforcement de l’autorité pontificale

Le renouveau du catholicisme au XIXe siècle

En réaction aux excès révolutionnaires, une branche du mouvement romantique, en Europe, revalorise l’héritage spirituel, culturel et artistique du catholicisme. Contre la froideur du classicisme, mis en avant par les Lumières puis par l’époque napoléonienne, le romantisme réhabilite la foi et l’esthétique chrétienne. Les romantiques (libéraux) et les ultramontains (conservateurs) partagent une fascination pour la Rome chrétienne et, plus largement, pour l’époque médiévale où la chrétienté était à son apogée. Ils redécouvrent l’art catholique et encouragent l’exploration des catacombes. Celles-ci leur permettent de s’intéresser à l’histoire des premiers chrétiens et aux persécutions qu’ils ont subies, ce qui fait écho à leur propre vécu en tant que catholique durant la Révolution.

De plus, au XIXe siècle, les apparitions mariales se multiplient et le culte populaire envers saint Joseph essaime dans le monde catholique. De nouvelles congrégations voient le jour, des collèges sont créés en Europe et ailleurs… 

Le renouveau du catholicisme est un mouvement qui provient des périphéries du monde catholique (comme l’Espagne et le Portugal, l’Italie du Sud, l’Europe centrale, l’Irlande et la France des provinces), plutôt que des centres qui se sont largement convertis aux idées libérales et révolutionnaires. Le christianisme apparaît alors, à nouveau, comme une réponse à un temps de crise. Ce mouvement permet à la papauté, contre toute attente, de se redresser et de consolider son autorité autour de Rome. 


Rome au cœur de l’expansion mondiale du catholicisme

Contraint de délaisser son pouvoir temporel, Pie IX va se recentrer sur son rôle de chef de l’Église dans un monde catholique en pleine expansion. En effet, on assiste au XIXe siècle à l’essor des grands empires coloniaux qui sont souvent accompagnés d’un mouvement missionnaire. De nombreuses congrégations religieuses se développent en Amérique, en Asie et en Afrique et participent ainsi à accroître la présence catholique dans le monde. Face à ce monde changeant, qui s’agrandit, le pape déploie ses efforts à faire de Rome le centre de gravité du catholicisme moderne. Pour cela, il centralise notamment la liturgie à travers l’usage de la messe romaine. 

Pie IX organise également de grands rassemblements soutenant les récents mouvements de dévotion populaire. Par exemple, à l’occasion de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception, il rassemble plus de 200 évêques à Rome le 8 décembre 1854. Deux ans plus tard, il inscrit la fête du Sacré-Cœur dans le calendrier liturgique universel. En 1867, il organise le 18e centenaire de la mort de saint Pierre, ce qui lui permet de rappeler l’origine apostolique singulière de la papauté à Rome. Enfin, en 1870, il proclame saint Joseph comme saint patron et protecteur de l’Église universelle.

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Vatican I et le dogme de l’infaillibilité pontificale

Mais c'est surtout avec le premier concile du Vatican que Pie IX marque le rayonnement de Rome sur l’ensemble du monde catholique. Vatican I s’ouvre le 8 décembre 1869 et rassemble 793 évêques, dont un quart est non-européen, ce qui est inédit ! Deux constitutions adoptées à l’unanimité sont particulièrement importantes. La première, Dei Filius, évoque la compatibilité dans la tradition catholique entre la raison (grâce à laquelle il est possible de reconnaître l’existence Dieu) et la révélation (nécessaire pour connaître Dieu). 

La deuxième, Pastor aeternus, adoptée le 18 juillet 1870, l’est encore plus. Elle proclame le dogme de l’infaillibité pontificale, si cher aux ultramontains, permettant de réaffirmer la supériorité du pape, à la tête de l’Église, sur celles locales et de centraliser l’identité et la doctrine catholique autour du pontife romain. Le concile est arrêté brusquement en raison des événements politiques qui entraînent le repli de Pie IX au Vatican.

 

Mort et béatification de Pie IX

Pie IX décède le 7 février 1878 à l’âge de 85 ans. Il est béatifié le 3 septembre 2000 par Jean Paul II et il est commémoré le 7 février.