Par Julia Itel – Publié le 13/04/2023
Les Pères de l’Église sont les auteurs chrétiens ayant vécu du IIe au VIIIe siècles et qui ont contribué à formuler la doctrine de l’Église. Qui est reconnu en tant que Père de l’Église ? Qui sont ces écrivains fondamentaux ?
Qui sont les Pères de l’Église ?
La notion de « Père »
Dans le Nouveau Testament, le titre de « père » est employé à plusieurs reprises pour désigner les apôtres comme représentants du Christ transmettant à leurs disciples les enseignements de celui-ci, mais également en tant que fondateurs de nouvelles églises et donc de nouvelles communautés chrétiennes. Par exemple, dans la première lettre aux Corinthiens, saint Paul dit : « dans le Christ, vous pourriez avoir dix mille guides, vous n’avez pas plusieurs pères : par l’annonce de l’Évangile, c’est moi qui vous ai donné la vie dans le Christ Jésus. » (1 Co 4, 15)
Le titre a ensuite été étendu aux évêques puis aux moines et aux ascètes, c'est-à-dire à tous ceux qui ont veillé à transmettre l’Évangile.
Les gardiens de la Tradition
Toutefois, la notion de « Père de l’Église », avec un P majuscule, concerne surtout les grandes figures chrétiennes – pour la plupart des évêques – des huit premiers siècles qui ont transmis et aidé à clarifier les enseignements de Jésus et des apôtres.
Les Pères de l’Église sont donc les fondateurs de la Tradition chrétienne : du latin tradere qui signifie « faire passer à un autre », les Pères ont consigné par écrit les enseignements qui ont été transmis (à l’oral) par le Christ aux apôtres. Ils se sont ainsi assurés de léguer avec fidélité la foi.
Vivant principalement autour du bassin méditerranéen, donc à la jonction de l’Orient et de l’Occident, les Pères sont des personnes érudites et familières de la philosophie grecque. Certains sont également marqués par la méthode de l’exégèse, utilisée dans la religion juive. De manière générale, les Pères travaillent à partir de la source, donc des Écritures qu’ils lisent, étudient et interprètent.
Les fondateurs de la doctrine chrétienne
De plus, sont considérés Pères de l’Église tous ceux ayant façonné la doctrine chrétienne aux débuts de l’Église. Les Pères sont des évangélisateurs et des défenseurs de la foi. Leur rôle est donc d’expliquer et de défendre la Parole de l’Évangile. Les premiers siècles du christianisme sont des temps agités où, en plus des persécutions envers les chrétiens, des courants hétérodoxes comme l’arianisme déstabilisent l’Église naissante et poussent les Pères à en définir les grandes structures doctrinales.
Comprendre le concile de Nicée et l’arianisme
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Pour cela, les Pères se réunissent lors de six grands conciles œcuméniques (Nicée I en 325, Constantinople I en 381, Éphèse en 431, Chalcédoine en 451, Constantinople II en 553 et III en 680) afin de répondre aux deux questions essentielles de leur temps, ce qui leur permet d’établir les dogmes de la Trinité et de l’Incarnation.
Qui peut être considéré comme un Père de l’Église ?
L’identification d’un auteur chrétien comme « Père de l’Église » s’est faite a posteriori. C'est saint Vincent de Lérins qui définit au Ve siècle les quatre critères essentiels à retenir pour être considéré « Père de l’Église ».
Le premier critère est l’appartenance au christianisme antique, que l’on nomme « ère patristique », et qui recouvre le temps des six premiers conciles. En Occident, l’ère patristique se termine généralement au VIIe siècle avec Grégoire le Grand ou Isidore de Séville. En Orient, elle s’achève un peu plus tard, en 749, avec Jean Damascène.
Le deuxième critère est la sainteté de vie. Toutefois, ce principe est parfois difficile à établir et des auteurs comme Origène et Tertullien, considérés comme hétérodoxes, sont tout de même qualifiés de Pères de l’Église tant leurs œuvres sont importantes.
Le troisième critère est la continuité et la connivence entre leur enseignement et celui de l’Église universelle, donc l’orthodoxie.
Le dernier critère est l’approbation par l’Église de leur doctrine.
Certains Pères sont reconnus comme ayant eu un rôle absolument fondamental et exemplaire pour l’Église de telle sorte qu’on leur a attribué le titre de « Docteur de l’Église ». C'est le cas d’Ambroise, de Jérôme, d’Augustin et de Grégoire le Grand.
Les Pères anténicéens (100-325 ap. J.-C.)
Nombreux sont les Pères de l’Église et pour mieux les identifier, il est plus simple de périodiser l’ère patristique. La première période correspond au moment où disparaissent les premiers témoins, les apôtres, et court jusqu’au premier concile de Nicée en 325. Les IIe et IIIe siècles sont marqués, pour le christianisme, par de nombreuses persécutions qui s’estompent avec l’Édit de Milan (313) qui établit la liberté de culte au sein de l’Empire.
Les Pères ayant contribué à consolider l’Église à cette époque sont donc appelés les « Pères anténicéens ». On peut distinguer plusieurs sous-groupes : les Pères apostoliques, les apologètes et les théologiens.
Les Pères apostoliques
Les Pères apostoliques sont appelés comme tel car ils sont les seuls à avoir connu les apôtres, soit en étant leurs disciples, soit en ayant été à leur contact. C'est donc grâce à eux que le message des apôtres nous a été transmis.
Ayant vécu entre 50 et 150 ap. J.-C., on retrouve parmi eux l’auteur anonyme de la Didachè (ou connu aussi sous le titre de Doctrine des Apôtres), un manuel de morale et de prescriptions liturgiques, Clément de Rome, évêque de Rome et disciple prétendu de saint Pierre, ainsi qu’Ignace d’Antioche et Polycarpe de Smyrne, tous deux disciples de Jean.
Découvrez ce qu’est un apôtre
Les Pères apologètes
Les successeurs des Pères apostoliques sont les « apologètes » et ont vécu entre 150 et 325. Ce qui les rassemble est leur volonté fervente de défendre la foi chrétienne contre les persécuteurs romains et les critiques juifs. Leurs écrits prennent la forme d’apologies. La majorité des apologètes sont des philosophes convertis au christianisme. Ils vont ainsi user de la raison de la logique pour tenter de convaincre leur auditoire. Le christianisme est alors repensé en termes philosophiques et présenté comme une « vérité » contrastant d’une part avec la religion païenne, perçue comme mythologique et emprunte de superstitions, et d’autre part avec la philosophie grecque, plus récente que le judaïsme dont découle le christianisme et donc comprise comme moins authentique et moins « vrai » que ce dernier.
Parmi les apologètes se trouvent les philosophes grecs Aristide d’Athènes, qui a tenté de convaincre l’empereur Hadrien de l’historicité du christianisme (et donc de sa véracité), et Justin de Naplouse, l’un des premiers à comprendre le Christ comme le Logos c'est-à-dire le Verbe de Dieu incarné. Clément d’Alexandrie est aussi considéré comme un apologète, bien que celui-ci ait également écrit pour les chrétiens.
Les Pères théologiens
En parallèle des apologètes s’esquisse le courant des premiers théologiens, dont le but est de lutter contre les hérésies existant à l’intérieur du christianisme. Contrairement aux apologètes qui s’appuient sur la philosophie, les théologiens prennent les Écritures comme source d’autorité ultime. Irénée de Lyon est considéré comme le premier théologien. Né en Asie Mineure au début du IIe siècle, il est l’étudiant de Polycarpe qui l’envoie en Gaule pour devenir prêtre. Il devient évêque de Lyon. Selon lui, la foi vient de la révélation divine et non de la raison. Celle-ci encouragerait alors les hérésies, comme le gnosticisme qu’il s’est évertué à contrer. Tertullien est un autre théologien célèbre et un auteur prolifique. Né en Afrique du Nord, dans l’actuelle Algérie, il est le premier à écrire en latin et on lui doit le terme de Trinité. Il a notamment lutté contre gnosticisme et le paganisme.
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Enfin, Origène bien que formé à l’école de catéchèse par Clément d’Alexandrie, transforme celle-ci en un lieu d’enseignement théologique.
L’âge d’or patristique (325-451 ap. J.-C.)
La paix religieuse acquise à la suite de l’Édit de Milan permet à l’Église de se développer à plusieurs niveaux. Les communautés diocésaines s’accroissent, la catéchèse, la liturgie et la prédication (donc la littérature chrétienne) s’enrichissent, le culte des martyrs et les lieux de pèlerinage se multiplient, le monachisme fait son essor autant en Orient qu’en Occident. Mais la période suivant le concile de Nicée est également marquée par la volonté de lutter contre l’arianisme, qui cherche à rationaliser le christianisme, en défendant notamment les dogmes de la Trinité et de l’Incarnation, adoptés durant Nicée I. Quatre autres grands conciles sont ainsi organisés et c'est au IVe siècle qu’est fixé, par Athanase, le Canon du Nouveau Testament. Les IVe et Ve siècles représentent l’apogée d’une pensée chrétienne arrivée à maturité.
Les écoles orientales
En Orient, deux aires culturelles contribuent à lutter contre l’arianisme. D’un côté, on trouve les Cappadociens représentés par les frères Basile de Césarée et Grégoire de Nysse ainsi que Grégoire de Nazianze. Influencés par la pensée d’Origène, ces auteurs ont développé une théologie trinitaire.De l’autre côté, à Antioche (dans l’actuelle Syrie), se développe une école exégétique basée sur l’étude littérale et historique du texte, représentée par Jean Chrysostome.
L’affirmation de l’Occident chrétien
Déjà bien établi dans le monde oriental, le christianisme se développe également dans la partie occidentale de l’Empire et se latinise. Contrairement aux Pères grecs qui se focalisent sur la dimension mystique et spéculative de la foi chrétienne, les Pères latins sont plus pragmatiques et moralisants. Plusieurs grandes figures se démarquent : Hilaire de Poitiers en Gaule, Ambroise de Milan et Jérôme de Stridon qui traduit, à la demande du pape Damase Ier, la Bible en latin (ce qu’on appelle la Vulgate). On retient surtout la figure de saint Augustin, évêque d’Hippone, considéré comme le plus grand des Pères latins, et qui a contribué dans La Cité de Dieu (413-426) à élaborer l’Occident chrétien.
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La fin de l’ère patristique (451-VIIIe siècle)
La christianisation de l’Occident
À la fin du Ve siècle, les invasions barbares entraînent la chute de l’Empire romain et sa séparation en deux sphères culturelles et religieuses différentes. L’Occident est coupé de ses origines grecques et se réclame de tradition latine, appuyé par l’Église de Rome. Mais les terres occidentales sont encore, pour l’Église, des espaces à évangéliser et convertir. Elle développe alors son potentiel missionnaire et œuvre à la christianisation de la culture notamment par l’évangélisation des zones rurales, jusqu'alors païennes.En Gaule, Jean Cassien fonde deux monastères et élabore une charte de vie monastique, qui va inspirer toutes les règles monastiques successives (notamment saint Benoît) et l’aura du monastère de Lérins fait venir à lui de nombreux pèlerins. En Italie, la papauté rayonne avec Léon le Grand et Grégoire le Grand. Enfin, en Espagne, Isidore de Séville est considéré comme le dernier des Pères latins.