La lèpre, au temps de Jésus, n’est pas qu’une maladie. Elle est synonyme d’impureté, et est un facteur d’exclusion sociale. Le lépreux est mis au ban de la société. Comme l’indique le livre des Lévites, il doit habiter à l’écart et doit signaler sa présence sur l’espace public à l’aide d’une clochette, ce qui permet à tous de s’éloigner. C’est un intouchable, qui suscite chez beaucoup un sentiment de répugnance…
12 siècles après, c’est un tel sentiment qui habitait Saint François d’Assise, à qui est dédiée cette église. Or, un jour, alors qu’il parcourait la campagne à cheval, il rencontre un lépreux. Se faisant violence, il descend de son cheval, lui donne une large aumône, et lui baise la main. Et il dira dans son testament que cet épisode a provoqué un changement décisif dans sa vie.
Mais revenons au récit de Marc. Voilà que, transgressant la loi, le lépreux s’approche de Jésus, pour le supplier de le guérir, et Jésus est saisi de compassion. Un autre Francois, celui de Sales, la définit comme « l’affection qui nous fait participer aux souffrances de celui que nous aimons. » Pour Jésus, vis-à-vis de ce lépreux, comme aujourd’hui pour les petites sœurs des pauvres si actives sur ce territoire, la compassion est le moteur de l’action. Pour Jésus, elle l’emporte sur le respect des règles de la vie sociale. Il touche le lépreux, en bravant l’interdit. C’est une véritable provocation. Il aurait pu, pour le guérir, se contenter seulement d’un regard, d’une parole, d’un geste effectué à distance dans le respect des règles sanitaires… Non, il le touche. Car guérir le lépreux, ce n’est pas seulement lui rendre la santé, mais c’est surtout lui rendre sa dignité.
Il ne s’agit pas pour Jésus de simplement le guérir, mais de lui permettre de reprendre une place pleine et entière dans la société des hommes. Voilà pourquoi, avec fermeté, il le renvoie vers le prêtre, l’homme de l’institution, de manière à ce que puisse se mettre en route le parcours d’inclusion sociale. Nous savons aujourd’hui que, pour travailler à l’inclusion d’une personne marginalisée, il s’agit non seulement de l’accompagner de manière personnelle, mais aussi d’interpeller l’institution pour qu’elle lui redonne toute sa place dans le groupe.
Voilà donc le lépreux guéri ! L’histoire aurait pu s’arrêter là ! Mais tel n’est pas le cas dans ce récit. L’histoire se poursuit par la désobéissance du lépreux à la consigne donnée par Jésus de garder le silence. Car celui-ci avait peut-être perçu une ambiguïté dans la démarche de cet homme. Sa demande, complètement centrée sur son propre désir de guérison, l’empêche de se mettre véritablement à l’écoute de Jésus.
Et voici que l’homme, contrairement à ce que lui ordonnait Jésus, se met à proclamer et à répandre partout la nouvelle de sa guérison. Les mots employés ici par Marc ne sont pas le fruit du hasard : ce sont ceux-là mêmes qu’il utilisait au début de son Évangile pour définir la mission du Christ. Comme si Marc voulait nous faire sentir que cet homme se mettait en fait à parler à la place de Jésus, au point que ce dernier est alors obligé de se taire, ne pouvant plus entrer ouvertement dans la ville et devant rester dans des endroits déserts. C’est le monde à l’envers : c’est maintenant Jésus qui est mis à l’écart !
On comprend alors le sens de la consigne du silence. Alors que le geste de guérison, posé par Jésus, aurait dû parler par lui-même – « ce sera pour les gens un témoignage » disait-il -, voici que les commentaires enflammés qu’en fait le lépreux guéri deviennent finalement un obstacle à la possibilité même de rencontrer Jésus.
Paul, dans son adresse aux Corinthiens, nous met en garde. « Ne soyez un obstacle pour personne. » Car il est parfois un type de discours tenu sur Christ, qui empêche en fait les gens de pouvoir véritablement s’approcher de lui, afin de le rencontrer de manière personnelle.
Car, ne l’oublions pas, comme nous le révèle ce récit de Marc, Jésus est rempli de compassion pour tous les enfants, les femmes, les hommes que nous sommes, quelles que soient nos conditions de vie, quelles que soient les raisons de notre mal-être. Et si nous acceptions d’oser la rencontre…, et si nous acceptions de nous laisser toucher par Lui ! Amen !