Frères et sœurs,
Amis en Christ,
L’autre soir, avant de rejoindre ma communauté, je passais à la chapelle de l’hôpital. J’aime ainsi confier au Seigneur, dans une courte prière, les visages rencontrés durant la journée, visages souvent marqués par la souffrance, l’angoisse devant un diagnostic annoncé, la peur de l’intervention chirurgicale du lendemain, le visage d’une agonie qui se prolonge…
Quelle ne fut pas ma surprise de trouver là une jeune femme en pleurs, devant le tableau placé à l’entrée de la chapelle. Il représente Jésus, prenant la main de la fille de Jaïre.
Je me présente et m’approche de cette femme pour lui demander la raison de ses larmes. « Mon petit garçon, de 3 ans Hugo vient de mourir. Grimpé sur le rebord de la fenêtre et il a basculé dans le vide. Pour l’arracher à la mort, l’équipe médicale est allée à l’extrême du possible. En vain. Aucun signe d’amélioration. J’ai imploré la Vierge Marie. J’ai serré mon petit Hugo dans mes bras le baignant d’un flot de mots d’amour et de tendresse. Rien. Mon enfant est mort ».
Frères et sœurs, je n’avais que le silence pour communier à la souffrance de cette maman. Je n’ai pas pu retenir mes larmes. Mon regard se tournait alors vers le tableau évoquant Jésus et la fille de Jaïre. Je contemplais longuement la main de Jésus qui touchait cette petite fille. Les questions se bousculaient dans ma tête : « Pourquoi Seigneur viens-tu faucher le blé en herbe, pourquoi viens-tu récolter ce qui n’a pas le temps de mûrir ? Viens imposer les mains à Hugo pour qu’il soit sauvé et qu’il vive, comme tu l’as fait pour la fille de Jaïre. » Mais rien ne s’est accompli. Alors devant l’intolérable silence de ce Dieu qu’on dit « Parole », les questions s’entrechoquaient dans mon esprit au risque de devenir un maître chanteur : « Jésus rend Hugo à sa maman et je croirai en toi ».
Frères, sœurs, il n’y a pas eu ce soir-là de miracle au service de réanimation pédiatrique, il ne s’est rien passé de spectaculaire dans la chapelle. Mais de quel nom appeler l’amour s’il l’on ne misait pas quelque part sur la dérisoire part d’improbable. Cette maman rejoignait ce soir-là Jaïre, dans la souffrance et dans la foi.
Quand, son enfant, ce qu’on a de plus cher au monde, est en train de mourir, on est prêt à tout mettre en œuvre. Mais dans cette course contre la mort, il est déjà trop tard. On voudrait étouffer la petite flamme de l’espérance qui brûlait dans le cœur de ce père : « laisse tomber, Jaïre, pas la peine de déranger ce maître guérisseur, ta fille est morte ! Il ne peut plus rien pour toi ».
Mais Jésus l’invite à ne pas se laisser décourager par les sceptiques qui ricanent en pensant : « Il y croit encore ! ». Il exhorte Jaïre à dépasser sa désespérance et à poser un acte de foi : « laisse-moi faire, fais-moi confiance. »
Arrivé à la maison, Jésus met les badauds dehors. Il n’est pas un bateleur de foire. Il invite l’homme à croire que Dieu ne veut pas la mort de l’homme mais qu’il vive.
Les mains de Jésus ont pris la main inanimée de la fille de Jaïre : c’est le geste bouleversant, geste d’amour, geste de Vie. Je n’ai pas la foi de Jésus pour ressusciter un enfant mort, mais je sais ce que produit une main tendue vers la détresse.
Frères et sœurs, que faites-vous de vos mains, maintenant que le Christ ressuscité a quitté notre terre ? Et si cette jeune fille était l’humanité blessée sur laquelle Jésus se penche pour la relever ? Alors levez-vous, Dieu n’a pas de mains, il n’a que nos mains pour faire le bien et mettre l’homme debout. Mettre l’homme debout c’est permettre à nos aînés, aux malades, aux handicapés, aux démunis, aux immigrés… d’être respectés dans leur dignité humaine. Mettre l’homme debout, « c’est un devoir d’humanité et de civilisation » nous a rappelé le pape François lors de son discours à Marseille. Mettre l’homme debout, c’est refuser de céder aux sirènes qui nous entraînent dans la haine, la violence, l’exclusion. Mettre l’homme debout c’est dire non à toute forme de pouvoir, civil ou religieux, qui méprise le droit de penser, de croire et de s’exprimer librement…
Frère, sœur, ami, prends la main que Dieu te tend aujourd’hui et ces prochains jours, pose-toi la seule question : pour mettre l’homme debout à qui vais-je tendre la main ?