Frères et sœurs,
Amis en Christ,
Quand j’étais ado, mon père, avant de mourir, m’avait offert une belle montre de poche. Il y tenait comme à la prunelle de ses yeux. Il la portait sur lui lorsqu’il était un « malgré-nous », enrôlé de force dans l’armée allemande, comme tant d’autres jeunes alsaciens. Sur le front de l’Est, loin des siens, il la regardait souvent et la serrait dans sa main, une façon pour lui de rester en communion profonde avec sa famille et de garder des liens invisibles. Un beau cadeau, reflet de sa confiance et de son amour pour moi. Il m’avait recommandé d’en prendre soin, de la considérer comme un point de repère, ce qu’elle a été pour lui, durant les mois sombres de la guerre.
Oui, j’en ai pris soin, mais par peur de la perdre, ou de me la faire voler, je l’ai précieusement rangée dans un tiroir. Par crainte de casser ses ressorts, je ne l’ai plus jamais remontée. L’heure est restée figée. Elle avait perdu le sens même de sa fonction, elle était inutile.
Frères et sœurs, c’est exactement ce que racontent les lectures d’aujourd’hui, à propos de la loi, de la règle, des commandements. Le texte du Deutéronome nous invite à garder soigneusement les dix commandements de Dieu, reçus par Moïse au Sinaï. Cette loi n’était pas un manuel de droit canonique, mais des paroles inspirées pour nous permettre de vivre en harmonie avec Dieu et nos frères.
C’était un très beau cadeau, une marque de confiance de Dieu. Il nous a demandé́ de garder scrupuleusement ses commandements, d’en prendre soin, mais surtout de les mettre en pratique. Malheureusement, certains docteurs de la loi, par excès de zèle, de conservatisme, par légalisme, les ont stérilisés et vidés de leur substance.
Une règle n’a de sens que si elle nous permet de vivre. L’expression « on a toujours fait comme ça », mène à une impasse. Une loi qui n’est appliquée que par routine, sans nous poser de question, s’assèche, elle ne sert plus de repère. Jésus critique très sévèrement l’attitude des pharisiens. Ils conservaient le moindre petit règlement, sans même savoir au juste pourquoi.
Cela me fait penser à l’histoire de l’allumeur de réverbères du Petit-Prince. Il allumait le réverbère pour l’éteindre aussitôt et le rallumer à nouveau. « Pourquoi fais-tu cela ? » lui demanda le Petit-Prince, je ne comprends pas. « Il n’y a rien à comprendre » dit l’allumeur : « c’est la consigne, la consigne, c’est la consigne ! »
Frères et sœurs, avouez que c’est absurde ! Même si c’est la loi, la consigne la tradition, elles n’interdisent pas de réfléchir. N’avons-nous pas aussi nos habitudes pieuses ? Ces choses que nous faisons, parce qu’on les a toujours faites. C’est d’ailleurs tellement confortable.
Jésus respecte la tradition, à condition qu’elle soit vivifiante, qu’elle favorise une meilleure qualité de vie et enrichisse les relations avec Dieu et avec les autres. Il ne s’agit pas simplement de répéter des gestes et des comportements. Jésus nous invite à réfléchir à nos pratiques religieuses afin qu’elles soient en conformité avec ce que nous professons ? Ne sont- elles pas trop souvent teintées de préjugés et de discriminations ?
Ghandi disait « j’ai beaucoup d’estime et de respect pour le Christ, mais pas pour les chrétiens, car ils disent et ne font pas ». Il savait de quoi il parlait. Lorsqu’il avait voulu assister à une messe en Afrique du Sud, les chrétiens l’avaient empêché d’entrer : cette église était pour les blancs et à deux coins de rue, il trouverait une église pour les noirs. Ghandi ne remit plus jamais les pieds dans une église.
Frère, sœur, ami, ce qui est premier, ce n’est pas l’accomplissement des routines religieuses, mais la pratique effective de l’amour. Le plus important n’est pas de se laver les mains, mais de se laver le cœur. As-tu aimé ? Telle est l’unique question qui te sera posée au soir de ta vie. La réponse t’appartient.
C’est en méditant cette page d’Evangile que j’ai repensé à la montre de mon père. Depuis j’ai osé la ressortir du tiroir, lui redonner son lustre, la remonter régulièrement. Quel bonheur de sentir qu’elle rythme mon quotidien et quel bonheur de vous avoir partagé mon histoire.
Frère, sœur, ami, Dieu t’appelle à être à l’heure : à l’heure de l’Amour.