Il y a quelques semaines, comme beaucoup d’entre vous, j’ai contemplé ces images des vignes illuminées dans la nuit obscure. Des viticulteurs ont allumé des feux et bruloirs afin de réduire les effets néfastes des gelées noires, qui dans le printemps déjà bien avancé ont affecté de façon irrémédiable les bourgeons récemment apparus.
Cette vision de milliers de flammes dans la pénombre m’est revenue à l’esprit en méditant l’évangile d’aujourd’hui. Certes Jésus n’évoque pas le danger du gel en Palestine… Il y fait bien chaud ! Mais, comme il l’exprime pour son Père, un bon vigneron protège sa vigne en toute circonstance, même les plus extrêmes.
J’ai pensé à tant d’amis viticulteurs tel Xavier. Ce jeune homme, tout en travaillant partiellement à Paris, a pris désormais le relais de son père dans un domaine viticole. Pour me décrire le désastre subit, il a trouvé les mots simples. Grâce à lui, j’ai mieux compris le vrai travail du viticulteur et l’extraordinaire vitalité de la vigne. L’évangile d’aujourd’hui m’est apparu plus limpide : « Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron » dit Jésus.
La vigne engendre. Elle donne vie en fonction de son milieu ambiant. Gardant la mémoire d’une saison, elle préfigure les fruits, générés à la suivante, qui pointent d’abord dans un bourgeon puis un sarment, avant de faire surgir feuilles et grappes qui pendent depuis le solide cep enraciné dans une terre parfois pierreuse et pauvre.
L’abondance future de la vigne dépend de son initiation florale. N’en serait-il pas de même pour nous avec l’initiation chrétienne ?
En s’incarnant, le Christ prend racine dans notre condition humaine et nous permet d’accomplir notre vocation, d’homme ou de femme qui porte du fruit. Mais, comme un sarment on ne peut se détacher de lui sous peine de s’assécher. De lui nous tirons notre sève, notre énergie, notre fécondité. Ce lien intrinsèque provient d’une volonté divine et dépend de notre bon vouloir afin de demeurer dans le Christ et qu’il puisse demeurer en nous. Ce lien avec lui se nourrit par la méditation de la parole, par la prière et par la pratique de la charité.
Cependant Jésus nous prévient. Pour nous purifier, le Père nous émonde, il taille parfois dans le vif… car il lui faut lutter contre l’orgueil du sarment. Ce dernier peut croire que tout vient de lui. Entouré du feuillage abondant qui le protège, le sarment porte de belles grappes de raisins qui par leur couleur et leur parfum attisent la convoitise et semblent le parer d’une fécondité dont il n’est que le transmetteur.
Dans un ouvrage récent, Bruno Dallaporta résume une tentation actuelle, celle que j’appelle du sarment :
« Nous pensons avoir tout fabriqué par nous-mêmes. Au niveau individuel, cela se traduit par un fantasme d’indépendance. Au niveau collectif cela se manifeste par une illusion de toute puissance. En effet, si nous ne savons pas reconnaître que le monde nous a été donné, nous ne pouvons pas reconnaître que nous devons donner »
Et c’est bien la vocation du sarment de transmettre et redonner tout ce qu’il a reçu.
Or pour croître et se développer, il est indispensable de demeurer en Dieu et de laisser Dieu demeurer en nous.
« Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron » dit Jésus.
Notre humanité ressent ce lien intime avec le Christ et Dieu le Père. Si son action nous semble imperceptible, regardons la main du vigneron qui caresse les grains de raisin gonflés à la bonne saison, ou qui pleure de voir détruite la récolte à venir par un refroidissement extrême. De manière figurative, c’est aussi ce que Dieu ressent.
Le climat ambiant ne préserve pas toujours la vigne du Seigneur et ses sarments. Les maladies qui les affectent aujourd’hui sont le refus de Dieu, le seul assouvissement de nos envies, un individualisme généralisé et donc l’absence de recherche du bien commun.
En écoutant Xavier, le jeune viticulteur, la vigne se révèle à moi comme un signe de résilience, par sa capacité à absorber les effets négatifs afin de régénérer ce qui a été abîmé. Le Christ par sa Passion et sa résurrection nous ouvre la voie de la guérison intérieure.
Au début du mois de Marie, en cette magnifique basilique de Boulogne qui lui est dédié, la prière nous réunit. La Vierge Marie est le sarment qui ne cesse de transmettre la foi, de porter du fruit. Tournons-nous vers elle avec confiance puisque la Mère de Jésus demeure en Dieu et Dieu demeure en elle. Comme les flammes dans les vignes, les bougies posées auprès de Marie, en nos églises ou maisons, manifesteront notre espérance d’un monde où l’on prend soin les uns des autres.