"Ça a été un caillou dans ma chaussure toute ma vie. Il a fallu que j’apprenne à marcher avec, mais je marchais de travers." Dans l'entretien accordé à Laurence Chartier, Laurent Martinez se livre sur le viol subi à l’âge de huit ans et sur la genèse de son œuvre théâtrale.
"On se sent honteux, sali." Un traumatisme qui, pendant des années, l’a empoisonné et plongé dans un profond mal-être. Chef d’entreprise, marié, père, il ne se sentait pas à sa place. "J’essayais de me construire un autre personnage mais un jour, j’ai eu envie de savoir qui j’étais vraiment."
Passionné de dramaturgie depuis l’enfance, Laurent Martinez décide de donner une nouvelle orientation à sa vie. Il se lance dans une formation théâtrale au cours Florent. En deuxième année, il a "carte blanche" pour créer un mini-spectacle. Un tournant décisif. En pleine crise des abus sexuels dans l’Église, il met enfin des mots sur ses difficultés, notamment dans sa vie amoureuse. Il écrit et met en scène Pardon ?, pièce autobiographique dans laquelle il explore cette problématique : un homme ayant été victime d’abus sexuels quand il était enfant peut-il trouver l’amour ?
Laurent Martinez raconte sa propre histoire avec sincérité et honnêteté, avec la focale du "poids du regard de l’autre". Et avec l’urgence de montrer la vérité pour se reconstruire et aider ceux qui ne peuvent s’exprimer.
Jouée pour la première fois au Festival d’Avignon en 2019, Pardon ? est un témoignage mais aussi un vecteur de questionnements : "Est-il est possible de pardonner à un agresseur ?" ; "Est-il possible de pardonner à l’Église d’avoir laissé faire ?".
Présentée devant les évêques de France, la pièce contribue à la prise de conscience dans l’Église. Des diocèses programment la pièce afin de libérer la parole et briser les tabous. En tournée actuellement, Pardon ? bouleverse les nombreux spectateurs qui soulignent la délicatesse du texte et la force du jeu d’acteurs.
Laurent Martinez a entrepris des démarches pour retrouver son agresseur, qu’il présumait décédé, auprès de son ancienne école. "J’attends toujours", confie-t-il. C’est lors d’un débat avec Mgr Éric de Moulins- Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, que Laurent Martinez a pu obtenir cette demande de pardon, au nom de l’Église. Pardon qu’il a accordé, lui permettant de se réconcilier avec l’Église. Un moment intense dans sa vie qui met un terme à toutes ces années de colère : "J’ai ressenti une profonde libération, un poids sur les épaules qui s’est évanoui."
Texte de Marie-Aude Lenain publié dans le Bulletin du Jour du Seigneur Avril-Mai 2022