Une remarque d’abord. À ceux qui voudraient voir dans ce récit de l’Épiphanie un reportage précis et détaillé de ce qui s’est passé quelques jours après la naissance de Jésus, une description historique, en somme, je dis ATTENTION ! Ce texte n’est pas un reportage mais un enseignement. Ce n’est pas un texte enfantin, non plus, mais une catéchèse d’adultes, ce n’est pas une belle histoire pour les enfants, c’est une histoire pleine de sens pour les plus grands.
Je m’explique : Matthieu écrit son évangile 40 ou 50 ans après la mort de Jésus. Il a beaucoup réfléchi sur l’aveuglement de certains pharisiens , de certains prêtres des scribes au temps de Jésus. Et 40 ans après, c’est pareil, il en est encore qui font toujours preuve du même entêtement, du même refus. En écrivant cette page, c’est à eux qu’il pense.
D’autre part, Matthieu écrit son évangile à des communautés chrétiennes issues du monde juif et qui hésitent à accueillir les païens parmi eux des Grecs, des Romains qui se convertissent en grand nombre à l’Évangile de Jésus. Leur entrée massive dans les communautés n’est pas du goût de tout le monde. Certains se demandent si des hommes, des femmes qui ne pratiquent pas la Loi de Moïse peuvent devenir chrétiens. C’est pour répondre à cette question que Matthieu a inventé ce récit de la visite des mages. Il l’a composé comme une page un peu polémique, pour mieux se faire comprendre.
En effet, qui voit-il venir auprès de l’Enfant Jésus ? On s’attendrait normalement à voir les prêtres, les lévites, les docteurs de la Loi, les hommes de la religion. Non, Matthieu nous dit que ce sont des hommes qui viennent des lointaines contrées d’Orient, avec leur caravane de chameaux. Sont-ils rois, sont-ils savants ? Peu importe, ce sont d’éminents personnages des autres peuples que Matthieu voit converger vers le Sauveur. Ce sont des païens, en somme, des étrangers qui se risquent à chercher Dieu jusqu’à Bethléem et non pas ceux qui savent tout des Écritures. Eux, il restent à Jérusalem. On dirait qu’ils en savent trop ! C’est qu’il ne suffit pas de "savoir", il faut marcher, comme les Mages et "se rendre".
Le message que Matthieu veut faire passer est clair, il est même aveuglant. La réponse est donnée à la question : "Faut-il accueillir les païens dans les communautés chrétiennes ?" Mais, bien sûr, dit Matthieu. Ce sont eux qui ont le mieux compris la nouveauté apportée par Jésus. Ils ont mieux accueilli la visite de Dieu. En offrant l’or, ils le disent Roi, en offrant l’encens, ils le disent Dieu, en lui présentant la myrrhe (qui servait à embaumer les morts), ils annoncent la mort de Jésus.
Le message de l’Épiphanie est éclatant. Le mot Épiphanie veut dire "Manifestation". Dieu veut "se manifester " à tous les hommes sans exception : " Étranger, d’où que tu viennes, Dieu est venu pour toi. Aucun obstacle ne peut venir de ta race, de ta culture, de ton origine religieuse. Dieu se propose à toi, qui que tu sois, pourvu que tu le cherches. "
Il y a beaucoup d’églises dans la banlieue parisienne et dans beaucoup de villes de France où les chrétiens ne sont pas toujours très nombreux, le dimanche. Aujourd’hui, jour de l’Epiphanie, ces églises seront pleines, pourquoi ? Parce que les chrétiens de ces paroisses invitent tous les étrangers de leur quartier – et Dieu sait s’ils sont nombreux – pour signifier que notre Dieu qui s’est révélé en Jésus Christ est venu pour tous les hommes, de toutes les races.
Merci à Matthieu de nous avoir raconté la visite des Mages.
Et si nous reprenions les symboles qu’il a choisis pour nous souhaiter les uns aux autres une bonne année ? C’est encore la saison.
L’or, l’encens et la myrrhe.
L’or évoque tout ce qui dans notre monde relève des échanges économiques. Notre vie matérielle, en somme. La vie matérielle, c’est important. Ce n’est pas suffisant pour passer une bonne année, mais c’est nécessaire. Nous pouvons nous souhaiter une vie matérielle équilibrée, stable, un emploi sûr, un salaire régulier.
Et puis que les biens matériels soient mieux distribués, mieux partagés, pour que ceux qui manquent terriblement du nécessaire autour de nous, en France, dans le monde retrouvent une existence normale.
L’encens évoque la prière. Non pas la vie matérielle, mais la vie spirituelle . L’intériorité, le silence, la prière. On peut se souhaiter cela : avoir une vraie vie de prière. Et qu’au coeur d’un des quartiers les plus vivants de Paris, votre paroisse Notre-Dame-d’Espérance soit un repère pour tous ceux qui cherchent leur chemin.
La myrrhe enfin. La myrrhe servait à embaumer les morts. Il ne s’agit pas d’être des rabat-joie aujourd’hui mais reconnaissons que la mort fait partie de la vie. Il faut souhaiter que ceux qui connaîtront, cette année, le désert cruel de la souffrance et de la mort ne soient pas seuls quand ils traverseront ce désert, et que dans l’épreuve terrible de la mort d’un proche, notre espérance soit plus forte que la mort.
Et puis, que notre prière et notre courage en 2004 fassent reculer les forces de mort, la violence, la haine, l’indifférence, autour de nous et dans le monde.
Un mot encore pour conclure. Avez-vous retenu la dernière phrase du récit de Matthieu ? Il dit qu’après avoir rencontré Jésus, "les Mages sont repartis par un autre chemin". Ce sera mon dernier souhait : puissions-nous repartir en 2004 "par un autre chemin". Tous ceux qui rencontrent le Christ sont voués à un autre chemin, arrachés à leur passé, à leur chemin habituel, à leur routine. Le chemin ouvert par Jésus est toujours nouveau. Je reprends à mon compte cette phrase joliment suggestive : "Plus important encore que d’ajouter une année à notre vie, c’est d’ajouter de la vie à notre année".
Références bibliques :
Référence des chants :