La question a traversé les mers et les montagnes, les fleuves et les campagnes, les jours et les saisons, les générations et les époques … partie de Galilée, « chemin faisant », la question débarque, ici ce matin pour vous, pour moi, pour chacun de nous.
« Pour vous, qui suis-je ? »
Elle paraît si simple, cette question, car mille fois posée, au cœur de nos relations, avec notre famille et dans nos communautés, avec nos amis ou au travail … pour toi, qui suis-je ?
Elle peut aussi jaillir au cœur même de la trahison, aux heures difficiles de la méfiance, ou de l’abandon … mais pour toi, qui suis-je ?
Les disciples avaient déjà des jours et des mois de proximité avec Jésus. Il l’avait vu guérir les malades, prendre la parole et la redonner, dominer le vent et la mer, tous ces éléments qui nous menacent et nous submergent. Il l’avait vu parler en parabole, révéler des pépites de royaume de son Père dans la banalité du quotidien, parlant de blé ensemencé ou d’une lampe mal placée, sous le lit. Ils l’avaient vu aussi secouer rigoureusement l’hypocrisie des apparences trop religieuses.
« Pour vous, qui suis-je ? »
Alors, Jésus se fit question. Avez-vous remarqué que Jésus préfère être une question qu’une affirmation ? C’est très fort ça. Car cela en dit long sur Jésus. Celui que nous proclamons comme le point fixe de l’histoire humaine se fait point d’interrogation. Celui que nous confessons chaque dimanche avec Pierre comme Christ, guide et libérateur se fait mendiant de notre hésitante réponse. La question ne me met-elle pas en chemin ? Ne me déplace-t-elle pas, dans la tête et dans le cœur, heurtant mes protections et mes certitudes ? Ne va-t-elle pas jusqu’à me déconcerter ? À ouvrir un jeu où je dois me positionner, dire aussi quelque chose de moi en disant ce qu’il est pour moi ?
Et l’on se découvre à prononcer des mots de reconnaissance, de révélation, des mots qui ont grandi grâce à ce long et lent compagnonnage quotidien. La question dévoile, me dévoile et me place dans le lieu intime de ma Liberté intérieure. Il y a de la place pour une quête de sens, de direction, de signification. Au cœur de ma vie, de mes ratés, de mes joies et de mes peurs, qui es-tu Jésus pour moi ? Quelle place ai-je envie de te donner ?
« Pour vous, qui suis-je ? »
Et Pierre a dit vrai. Et Pierre a eu tout faux. « Tu es le Christ, le messie, le chef et le libérateur. » Il a raison, notre ami Pierre mais il n’a encore rien compris. Le chemin du Christ ne sera pas celui que lui et les autres, et nous derrière, nous attendions, et qui aurait mis un point final et victorieux au mystère du mal et de notre vie humaine. Pierre se retrouve en chemin, à la moitié du chemin. Au gré des rencontres et de ses peurs, Pierre qui aujourd’hui confesse Jésus comme christ est le même qui en un autre endroit lui diras : « Vers qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ! »
Mais, ailleurs, plus près de la Croix, il est le même qui affirmera au sujet de Jésus : « je le jure, je ne connais pas cet homme » et ultimement, enfin, aux lendemains de la résurrection, il se dévoilera : « Seigneur, tu sais bien que je t’aime »
Le chemin de Pierre est pour beaucoup d’entre nous, notre propre chemin. Suivant les étapes de notre vie, notre foi peut osciller, notre confiance s’obscurcir, à moins que ce soit les mots pour le dire qui deviennent plus rares ou hésitants. N’en soyons pas blessés ni amers. On perd sans doute l’apparence de l’assurance mais se creuse invisiblement, silencieusement, une relation plus vraie, plus humble, à notre hauteur. Nous pouvons dans le même mouvement découvrir la douceur délicate de l’amitié avec lui, Jésus.
« Alors, il leur défendit vivement de parler de lui à personne. »
J’ai longtemps pensé, comme on me l’a enseigné, que si Jésus demandait à ses disciples de garder pour eux les miracles qu’ils avaient vu et son identité qu’il avait perçu, c’était pour garder un secret qui devait être révélé uniquement aux jours de sa résurrection, aux vues les quiproquos et malentendus sur sa mission… or un ami m’a récemment mis sur un autre chemin :
Ce silence sur ses miracles et son identité, ne serait-ce pas parce que le bien qu’on peut faire à son prochain et la vérité profonde de notre identité, il est bon de le faire et de la vivre sans le crier sur les toits? Le silence demandé fait partie intégrante du message ! Le bien ne fait pas de bruit… et la main droite ignore ce que fait la main gauche … il s’agit d’être et de faire le bien sans l’ébruiter, à la manière du bon samaritain.
N’est-ce pas finalement, chemin faisant, ce que nous dit saint Jacques dans la seconde lecture de ce jour : « Moi, c’est par mes œuvres que je te montrerai ma foi. »