aimez vos ennemis » ou bien « si on te frappe sur une joue, présente aussi lâautre ». Que pouvons-nous exposer de nos vies face à de telles paroles ? Comment ne pas baisser les bras ou culpabiliser devant le flagrant délit de nos comportements ?
Je suis sûr que nous ne sommes pas la première génération à faire ce constat. Je crois même quâil faut commencer par lâaccepter. Notre cÅur est grand, mais il a des limites. LâÉvangile appelle ces limites : « la sclérocardie » : la sclérose de notre cÅur, cette incapacité à aimer tout le monde. A fortiori nos ennemis. Nos amis, nos parents, nous les aimons, mais Jésus va bien plus loin : « Aimez ceux qui vous font du mal ! ».
Quand des sentences comme celles-ci sont si difficiles à comprendre, je cherche dâautres situations dans lâÉvangile qui pourraient mâéclairer, me sortir de lâimpasse. Jâai pensé à cette attitude du Christ à son procès, giflé par un soldat (Jean 18, 22 â 23) : Il ne lui tend pas lâautre joue, il lui répond : « si jâai mal parlé, témoigne où est le mal, mais si jâai bien parlé, pourquoi me bats-tu ? ». Il lui répond sans haine et il amène ce soldat à juger par lui-même de lâinjustice de son geste. Autrement dit Jésus lui donne les moyens dâévaluer son attitude, de se changer lui-même.
Devant ces paroles impossibles que nous venons de réentendre, lâenjeu ne serait-il pas le même ? Non pas nous dire : « Mission impossible, petit homme, je tâai donné lâÉvangile, mais tu nây arriveras pas ». Mais plutôt : « Crois en toi. Il y a en toi un amour plus grand que tes sentiments. Tu ne le crois pas ? Mais moi, je crois en toi. Je sais ta sclérocardie, je suis venu la partager. Je lâai prise sur moi. Je suis venu habiter ta demeure intérieure, ton cÅur. »
Le Christ est venu nous révéler un chemin de profondeur. Il ne nous aime pas dans notre superficialité. Il creuse notre cÅur. Il nous invite à descendre comme un escalier intérieur. Je vous propose un escalier de 8 marches. Car on nâarrive pas du premier coup à une telle profondeur. Plus on descend cet escalier, plus il faut de la lumière : celle de la prière car il y a de la gravité dans cette phrase : « Aimez vos ennemis, faîtes leur du bien ».
Première marche, première attitude : choisir de ne plus rencontrer ses ennemis. Les éviter. Au moins pour un moment.
Deuxième marche, deuxième palier, progressif : ne pas en rajouter sur leur méchanceté dans la mémoire que jâai du mal quâils ont fait.
Troisième marche : Éviter de dire du mal dâeux sur leur dos, en leur absence.
Quatrième : prononcer leur nom devant Dieu, sans que personne ne le sache, avec les sentiments qui sont les miens à ce moment. Prier pour eux, sans quâils le sachent, sans leur dire.
Cinquième : leur trouver une qualité, trouver du bien en eux, caché dans leur personnalité.
Sixième marche: commencer à dire du bien de cette personne, sans naïveté parce que cette intention est née dans la douleur dâun cÅur qui cherche à aller plus loin que la répression.
Septième : lui dire ou lui écrire des choses positives : recommencer une communication.
Huitième marche : lâaimer. Lâaimer avec ce cÅur qui a fait ce chemin spirituel, qui a parlé au Christ de sa douleur et de cette injustice. Lâaimer avec un cÅur qui nâest plus tout à fait le même parce quâil a demandé au Christ sa force dâamour et de discernement. Nous nâaimons plus alors dans la solitude de notre sentiment, nous aimons dans une plénitude car nous avons découvert le Christ qui aime avec nous. Nous avons découvert lâantidote de la sclérocardie qui a un nom dans lâÉvangile, câest lâagapè, la charité : la puissance que Dieu déploie pour nous permettre dâaimer là où ça paraît humainement impossible, la puissance de lâEsprit- Saint.
Ainsi quand le Christ nous demande dâaimer nos ennemis, il me semble quâil nous indique dâabord une direction à lâopposé de notre spontanéité. Il nous croit capables de choisir de ne pas nous venger. Câest la première étape.
LâÉvangile nous invite ensuite à ne pas désirer tout de suite un résultat, mais à nous interroger sur les moyens que nous utilisons. « Aimer ses ennemis » relève plus dâune obligation de moyens que dâune obligation de résultats. Ou mieux, pour espérer un résultat, il faut sâinterroger sur les moyens. Comme David dans le livre de Samuel que nous avons lu tout à lâheure. Il a refusé de tuer le roi Saül, alors quâil avait lâoccasion de le faire. Il sây refuse parce quâil ne voit pas en lui quâun pur ennemi (ce quâil est). Il voit en Saül un homme choisi de Dieu, aimé de Lui. Son attitude change parce que son regard change. Il ne sâest pas rendu esclave de son sentiment. Il a laissé dâautres sentiments, une autre Présence le saisir.
Ainsi, ces paroles impossibles qui font la trame de lâÉvangile dâaujourdâhui sont des questions : qui est Jésus Christ pour nous ? De quel amour nous nourrit-il ? Qui sommes-nous pour quâil ait une telle espérance sur nous ? Saint Paul nous a laissé sa réponse dans sa lettre aux Corinthiens. « Puisque le Christ est venu du ciel : comme lui, les hommes appartiennent au ciel ». Câest cela : Nous appartenons au Christ.
Amen
Références bibliques :
Référence des chants :