" La beauté sauvera le monde "
D’Égypte aussi la lumière a resplendi
On connaît l’expression du grand écrivain russe Fédor Dostoïevski : "La beauté sauvera le monde !". L’auteur des Frères Karamazov ne parlait pas d’abord de la "beauté esthétique", laquelle reste très dépendante des cultures et des époques. Il désignait la beauté qui vient de Dieu, la lumière divine qui habite chaque être et que le Christ, en épousant notre humanité, est venu restaurer en nous alors qu’elle était enfouie sous le péché du monde. Le Christ est le plus beau des hommes, parce qu’il est tout plein de la grâce de Dieu, et sa beauté nous attire à lui et nous refaçonne à l’image du Créateur !
Ce dimanche, nous sommes encore tout éclairés par cette lumière qui surgit de la crèche, cette beauté de la Nativité du Christ Jésus que nous avons commencé à fêter depuis vendredi soir. Dans beaucoup de maisons chrétiennes de par le monde et dans de nombreux autres lieux, des crèches ont été édifiées ou installées. Elles sont construites avec des matériaux modestes ou coûteux, elles sont très sommaires ou très sophistiquées, mais toutes invitent à la contemplation, toutes nous ouvrent à la paix et à la confiance, car toutes conduisent au même Sauveur. Dans la pauvreté de nos crèches, le Christ se rend présent et nous révèle l’oeuvre d’amour du Père !
Les artistes de la région lilloise, qui ont préparé la messe télévisée d’aujourd’hui, ont voulu nous permettre d’entrer davantage encore dans ce mystère de la beauté de Dieu qui sauve, de la beauté du Christ destinée à rayonner à travers nous. Les oeuvres qu’ils ont réalisées et qui nous entourent, parce qu’elles ont voulu rejoindre le mystère divin, se trouvent, en effet, habitées par ce mystère. Leurs couleurs, leurs formes, nous disent quelque chose de la puissance créatrice de Dieu dont nous avons reçu chacun une part en héritage. Elles sont des signes visibles de la Présence invisible de Dieu. Ainsi en a-t-il toujours été de l’art religieux chrétien, depuis les premières icônes égyptiennes des premiers siècles du christianisme, jusqu’aux oeuvres des grands peintres modernes tels que Georges Rouault, Marc Chagall (lequel était Juif), Arcabas ou Evaristo, en passant par nos églises romanes et les grands vitraux de nos cathédrales gothiques. La messe télévisée d’aujourd’hui vient nous rappeler l’importance de l’art comme chemin d’accès à Dieu et elle doit être reçue comme un encouragement lancé à nos communautés chrétiennes pour qu’elles ne négligent pas la participation des artistes à l’évangélisation. L’Église doit faire travailler les artistes ! Elle en a besoin.
Nos amis peintres lillois ont illustré, traduit, interprété le texte de l’Évangile du jour : celui que nous appelons communément "La fuite en Égypte". Ce récit évangélique nous renvoie à un des épisodes les plus mystérieux de l’oeuvre du Salut, qui a nourri la tradition iconographique des chrétiens d’Égypte depuis au moins quinze siècles. En Égypte, d’ailleurs, on ne parle pas de "la fuite en Égypte" mais de "l’entrée en Égypte de la Sainte Famille", car pour les Égyptiens cet événement marque vraiment l’arrivée de la lumière du Christ au pays du Nil. Il constitue la réalisation des annonces du prophète Osée : "D’Égypte, j’ai appelé mon fils" (Osée 11,1) et de celles d’Isaïe : "Bénie soit l’Égypte mon peuple !" (Isaïe 19,25 ). L’Église copte ne cesse, depuis sa fondation, de se réjouir de cette visite du Seigneur et de la célébrer et, aujourd’hui, nous nous devons d’avoir une pensée pour nos frères coptes et une pensée pour toute l’Égypte à l’histoire de laquelle l’humanité doit tant.
Cette Égypte qui a été mère de tant de civilisations, dont la nôtre, a une place tout à fait à part dans l’histoire de l’Alliance. Certes, le pays des pharaons a souvent été en conflit avec le peuple d’Israël, mais il fut aussi régulièrement terre de refuge pour les grands hérauts de la geste biblique. Abraham y trouva asile. Moïse y naquit et y vécut longtemps heureux. Joseph, fils de Jacob, y fut ministre et, enfin, l’enfant Jésus, selon le récit évangélique d’aujourd’hui, y trouva refuge au moment d’une persécution déclenchée par Hérode ! Selon la tradition de l’Église copte, l’enfant Jésus et ses parents passèrent quatre années dans ce pays avant de pouvoir retourner en Galilée.
Que peut nous dire aujourd’hui cet épisode de la vie du Seigneur tel qu’il nous est rapporté par l’évangéliste Matthieu ? Tout d’abord, que Jésus n’existait pas tout seul et " hors sol " ! Il avait une famille. Il appartenait à un peuple et à un monde particuliers. Il a connu la violence du monde dès son arrivée parmi les hommes. Mais le récit évangélique de ce dimanche constitue également un rappel fort que tous les peuples sont bénis par Dieu, que toutes les terres sont saintes dès lors que le Seigneur y est accueilli, aimé, célébré. Et cela vaut aussi pour chacun d’entre nous. Chacun, en effet, est une terre où Dieu peut trouver sa place ou bien être rejeté. Chacun d’entre nous est à la fois Israël et l’Égypte ! Chacun est pour Dieu une promesse possible comme une désolation possible ! En nous, Dieu peut être aimé ou rejeté, protégé ou persécuté ! Notre coeur peut être une terre sainte comme une terre de malheur !
Mes amis, aimons le monde comme Dieu aime ! Aimons toutes les terres et tous les peuples comme des terres et des peuples bénis par Dieu ! Partout Dieu est en visite. Partout Dieu est à l’oeuvre. Partout Dieu appelle.
Et comme dernière illustration de tout ce que je viens de vous partager, je voudrais encore évoquer un magnifique cadeau qu’un grand peintre algérien, Rachid Koraichi, vient de faire à Dieu et à l’humanité. Ce grand artiste qui appartient à une famille musulmane prestigieuse puisqu’elle porte le nom de la tribu du prophète Mohammed, est aussi un authentique mystique et un homme de la fraternité. Bouleversé, comme tant d’Algériens et tant d’hommes, par le martyre, il y a déjà huit ans, des sept moines de Tibhirine, il a voulu réaliser une oeuvre propitiatoire, c’est-à-dire une oeuvre qui nous rende Dieu propice par l’expiation du péché du monde. Avec l’aide de sept écrivains contemporains renommés, il a réuni et illustré un magnifique volume au nom évocateur, tant pour les musulmans que pour les chrétiens : Les sept dormants. Une oeuvre qui est un sacrifice, une célébration, un geste de paix.
Oui, mes amis, Dostoïevski avait raison : "La beauté sauvera le monde !", parce que Dieu est LA beauté qui se donne en partage, une beauté dont nous devons savoir témoigner. Beauté de l’enfance. Beauté de l’amour familial. Beauté de tous ceux qui s’aiment. Beauté de la fraternité entre les hommes et les peuples. Beauté des oeuvres que savent produire les artistes qui se laissent inspirer, et qui célèbrent ainsi et donnent à voir encore mieux l’oeuvre incessante de Dieu.
Références bibliques :
Référence des chants :