Mes chers frères et soeurs,
Chers téléspectateurs qui vivez avec nous cette messe de Noël,
On ne peut prendre la parole, en ce dernier Noël du vingtième siècle, sans une certaine émotion : hier soir Dieu Lui-même est venu passer sa première nuit sur notre terre basse Le Fils de Dieu s’est comme plongé dans le temps pour y germer en silence et le faire un jour éclater en lumière d’éternité. Quel mystère !
Et ce dernier Noël du vingtième siècle résonne dans notre coeur de chrétiens avec une formidable actualité et nous supplions de toutes nos forces que se réalise enfin la grande prophétie d’Isaïe : " La paix sera sans fin voici venir le salut pour tous les peuples. " Oui, c’est maintenant possible, parce que cette nuit la tendresse de Dieu a pris visage humain, un Dieu s’est fait enfant de notre terre pour faire de nous les enfants de son ciel. Toute la foi des grands saints d’Israël se murmure devant une crèche, et toute la sagesse des grands sages païens, comme étourdie par l’inimaginable, s’agenouille devant un enfant : c’est que le Prince de la Paix inaugure aujourd’hui son royaume des pardonnés de l’amour !
Voilà pourquoi durant cette douce nuit, partout dans le monde, des croyants comme vous et moi se sont mis en prière pour adorer l’insondable mystère. Oui, en cette nuit sacrée où Marie couchait Dieu Lui-même dans la mangeoire d’une étable, elle inaugurait un âge nouveau de prière et de contemplation : depuis les humbles bergers jusqu’aux savants rois mages, tous désormais, tous pourront s’approcher d’un Dieu qui s’est fait fraternel, et la grotte méprisée des orgueilleuses maisons de Bethléem devient le coeur du monde, comme l’épicentre d’un prodigieux séisme de grâce qui secoue la terre entière ; oui, aujourd’hui, un raz de marée d’amour infini vient inonder le monde et le laver enfin du vieux péché.
" Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes qu’il aime " c’est-à-dire aux hommes de bonne volonté, venons-nous de chanter avec les anges
Mais qu’avons-nous fait de cette paix promise ? Nous avons hélas voulu entonner l’internationale d’une fraternité humaine, trop humaine justement, et donc irréalisable, puisqu’on a commencé par rejeter l’unique paternité qui pouvait la fonder. Et c’est à nouveau la division d’une humanité qui n’a jamais autant parlé de respect, et de liberté, et de fraternité, et qui pourtant ne s’est jamais autant entre-tuée que durant ce vingtième siècle. Et nous nous entêtons à vouloir construire une paix universelle en la basant sur le matérialisme ! Mais la matière n’a jamais été autre chose qu’une force de dispersion. C’est l’âme, en tout vivant, c’est l’âme qui est force de cohésion de la matière, et qui la maintient (la tient en main, précisément) en un tout harmonieux !
Il s’agit donc aujourd’hui de donner une âme, non seulement à l’Europe encore divisée, mais également à l’humanité tout entière. Parce qu’il n’y a de paix politique possible que dans la paix des civilisations, la paix des cultures ; et il n’y a de paix des cultures que dans la paix de valeurs unanimement acclamées. Et elles existent, ces valeurs salvatrices ; elles s’appellent : justice, amour, vérité, partage, grands idéaux ; et le croyant dit tout cela en un seul mot quand il dit : " Dieu " !
Oui, il est temps de rendre Dieu à notre pauvre monde et de rendre notre pauvre monde à son Dieu. En ce Noël 1999, je ne peux oublier l’immense émotion ressentie, par une belle nuit d’été, en 1969, lorsque je vis à la télévision les Américains qui, pour la première fois, débarquaient sur la lune : scaphandres d’astronautes, gestes au ralenti, des pas de géants pourtant extra légers sur le trampolino lunaire.
Et puis, tout à coup, les astronautes ont tourné leur caméra vers la Terre. Et ce fut le premier choc : je la voyais là-bas, cette Terre où j’étais assis, planète lointaine et mystérieuse, comme on ne l’avait encore jamais vue, comme si c’était elle qu’il fallait découvrir Je la contemplais, suspendue dans le vide et l’infini silence du cosmos : petite planète de sable, d’arbres et d’eau, perdue dans l’incommensurable espace.
Et ce fut, plus violent encore, un deuxième choc. Une question s’imposait à moi, et qui m’obsède encore : " Comment peut-on tellement se battre sur une si belle et si petite chose ? "
Et m’apparut alors dans toute sa tragédie le gâchis de tous ces affrontements de fourmis qui se prennent orgueilleusement pour des titans, aveuglés qu’ils sont par la démesure de leur volonté de puissance ! Quelle absurdité, quelle misère que l’on ne puisse pas s’entendre sur une si belle et si petite chose ! Et depuis ce jour-là, je vous assure, Noël, la naissance du Prince de la Paix, ce n’est pas pour moi une fantaisie liturgique, ou du folklore sentimental, non : parce que depuis Noël, et à cause de Noël, et grâce à Noël, on n’a plus le droit de penser la paix en termes de " bien commun " égoïste et homicidement nationaliste.
Non, la paix est une aspiration et un droit inaliénable de tous les hommes ! Ce n’est tout de même pas pour rien que le Christ a encadré sa révélation par une déclaration de paix. Hier soir, les anges ont chanté : " Paix sur la Terre aux hommes qu’il aime. " Et tout à la fin de sa vie, au soir du Jeudi Saint et alors qu’Il était déjà livré, c’est encore la paix que Jésus nous promet : " Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. "
Qu’avons-nous fait de cette paix ? C’est vrai qu’on peut se le demander Mais courage : tout est encore possible ! Déjà s’impose à nous une évidence inéluctable : la violence et la guerre ne seront jamais une solution pour les conflits ; on ne construit aucune paix durable sur tant de souffrances et de larmes.
Non, la paix qui nous est promise ne peut passer que par la conversion du coeur de l’homme, du vôtre comme du mien. Et c’est Dieu, et Dieu seul, qui peut donner à l’homme ce coeur nouveau. Il l’a promis, et Il est fidèle en ses promesses : " J’arracherai votre coeur de pierre et je vous donnerai un coeur de chair. "
" Oh oui, reviens Seigneur Jésus et donne-nous à tous un coeur nouveau, un coeur de chair " : c’est-à-dire un coeur qui sache encore aimer, ou aimer à nouveau, ou aimer encore mieux. Il n’est certes pas demandé à une pauvre petite goutte d’eau de féconder toute seule le Sahara ; mais si toutes les petites gouttes d’eau se mettent ensemble, alors s’allumera un gigantesque arc-en-ciel et il n’y aura plus de déserts. Oui, si chacun de nous s’y met, alors bien sûr que la paix promise retrouvera toutes ses chances !
Voilà, mes chers frères et soeurs, voilà le Joyeux Noël que je vous souhaite à tous : en chacun de nous, par chacun de nous : " Joie et paix de Dieu sur la terre ! "
Amen !
Références bibliques :
Référence des chants :