Parmi toutes les guérisons de Jésus, le récit d’aujourd’hui comporte une précision particulière qui ouvre à une très vaste réflexion. Jésus guérit un homme, le jour du sabbat.
Le jour du sabbat. Il n’y a pas, pour tout juif vivant au temps de Jésus, comme pour tout juif religieux vivant aujourd’hui, d’obligation plus sacrée que celle d’observer le jour du sabbat. " Tous les jours de la semaine, tu travailleras. Mais le jour du sabbat, tu ne travailleras pas, tu ne te déplaceras même pas, etc. " Le but de cette loi est évident et magnifique. Et comme il serait bon que l’ homo technicus d’aujourd’hui en prenne de la graine. Alors que pendant la semaine tu seras occupé et préoccupé par tes affaires, ce jour du sabbat, tu le préserveras soigneusement. Il te donnera le temps de penser à Dieu, le temps de remercier Dieu. En effet, si tu peux travailler, gagner ton pain tout au long de la semaine, n’oublie pas que c’est parce que Dieu t’en donne le moyen.
Malheureusement, cette loi magnifique s’est comme fossilisée. Vous savez ce qu’est un fossile : rien d’autre qu’un vivant transformé en pierre par les siècles. Alors qu’elle avait pour but de permettre aux hommes la véritable respiration, voici qu’elle est devenue comme une pierre lourde et dure, au point de prendre le pas sur toute autre obligation, y compris celle d’aider ses frères, de soigner son frère, de guérir son frère.
Lorsque Jésus guérit le paralysé, les bien-pensants se scandalisent puisque Jésus a secouru son frère un jour de sabbat.
C’est devant cette hypocrisie que Jésus s’insurge. Sa remarque est cinglante et lapidaire : " Le sabbat est fait pour l’homme et non pas l’homme pour le sabbat. " Le bon sens vient de s’exprimer. Et le bon sens est souvent la voix de l’Esprit Saint lorsque ce bon sens manifeste une conscience lucide et libre.
Le sabbat, c’est vrai, est le signe de la bonté de Dieu qui désire que les hommes n’oublient pas l’essentiel. Mais comment le signe de la bonté de Dieu ne s’effacerait-il pas devant cette bonté elle-même lorsqu’elle veut rejoindre directement un homme malade ?
Jésus dénonce ici toutes les hypocrisies dans lesquelles peuvent sombrer les hommes religieux, les pratiquants, que nous sommes. Nous pouvons être généreusement fidèles à toutes les lois de l’Église : observer le dimanche, aller à la messe, faire pénitence en temps de carême, etc. Mais ces lois de l’Église ne sont que la traduction de l’unique et double loi de Dieu : " Tu aimeras Dieu, tu aimeras ton prochain. " Si nous pensons que les lois de l’Église nous dispensent de la loi de Dieu, alors nous mettons la lettre plus haut que l’esprit. Et nous savons que la lettre tue, lorsqu’elle se croit souveraine, alors que c’est l’esprit qui donne vie.
Lorsque nous observons les lois de l’Église, nous faisons comme l’automobiliste qui s’arrête au poste d’essence. Mais à quoi servirait-il donc que nous ayons tous nos réservoirs archi pleins, si nous refusions de dépenser cette énergie au service de nos frères pour l’amour de Dieu ? De l’intérieur de nos églises où nous chanterions psaumes et cantiques nous oublierions l’homme qui souffre, le paralytique qui meurt à notre porte ?
Me vient à l’esprit un mot de monsieur Vincent. Une de ses filles de la Charité lui demanda : " Si quelqu’un sonne à la porte au moment de la prière ou de la messe, faut-il aller ouvrir ? " Il répondit sans hésiter : " Allez ouvrir. " Et il ajouta : " En allant ouvrir, vous quittez Dieu pour Dieu. "
Un jour, je me promenais dans la campagne avec ma vieille maman (94 ans). Dans un champ, un paysan labourait ses terres. Or c’était un dimanche. Nous en faisions la remarque. Après un silence, ma mère me dit, avec ses mots, bien sûr : " Entre cet homme qui semble faire un péché en essayant de boucler péniblement ses labours à temps, et tous ceux qui, sans faire de péché, sont partis passer leur dimanche au ski ou la mer, qui est le plus près du Bon Dieu ? "
Cette interrogation si simple est pourtant fondamentale. Permettez-moi de vous l’offrir au moment où nous allons célébrer l’eucharistie.
Références bibliques :
Référence des chants :