L’odeur de Noël flottait encore dans l’air lorsque, trop vite, est venu le nouvel an. Et aujourd’hui, nouvelle fête, l’Épiphanie ! Que va-t-on pouvoir ajouter ? Les petits malins diront : " la galette " ! Eh bien soit, mais rappelons-nous qu’elle n’est pas seulement une aubaine de boulanger, elle pose une question : à qui va aller la fève ? À qui va revenir le titre de roi ? L’Évangile ne dit pas que les trois mages venus vers la crèche étaient des rois, mais la tradition en perpétue l’idée, comme pour souligner cette interrogation : à qui appartient véritablement la puissance ? Est-ce à Hérode, le roi fantoche de cette époque reculée ? Ou bien mages, savants fortunés, venus de loin en suivant une étoile ? Ou encore à ce Jésus, nouveau-né de pauvres gens, venu au monde dans un abri de berger ?
Je préfère ce matin laisser de côté l’or, l’encens et la myrrhe, et tout de go, je saute avec vous à la dernière ligne du texte : " Avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, les mages retournèrent chez eux par un autre chemin. " Qu’ont-ils donc rapporté chez eux, ces étranges voyageurs ? Et si le voyage n’était pas seulement celui des chemins poussiéreux et des périls rencontrés ? S’il était bien plus le voyage intérieur des intelligences et des consciences retournées ? " L’autre chemin " qu’indique l’Évangile n’est-il pas surtout un état d’esprit tout autre ? Pour ma part, je gage que oui, et je voudrais faire apparaître combien ce récit qui prête aux belles images est pour l’essentiel une immense provocation de notre Dieu.
La première provocation saute aux yeux à propos de la royauté. L’évangéliste Matthieu souligne avec un brin d’ironie que cet épisode se passe au temps du roi Hérode " le grand ! " Les mages venus de loin représentent une certaine puissance. Avec un sans- gêne déroutant ils demandent : " Où est le roi des juifs ? " De quoi traumatiser ce Hérode qui prétend régner en maître absolu et qui, dit le texte, " fut pris d’inquiétude ". On le serait à moins ! Hérode laisse paraître sa duplicité, demandant qu’on l’avertisse du lieu où l’enfant est né, afin d’aller lui rendre hommage. Quel bel hommage, nous apprendra la suite de l’histoire, que celui d’assassiner tous les nouveau-nés contemporains de Jésus pour faire disparaître un concurrent !
Mais dites ! Voilà qu’apparaît aussi une nouvelle royauté, étrange à vrai dire : c’est la royauté d’un enfant. Son autorité sera de savoir faire grandir les autres. Son pouvoir sera de donner sa vie par amour.
La deuxième provocation concerne le savoir. Demandons-nous qui sait quoi dans notre page d’Évangile ? Les mages savent qu’un roi est né, ils connaissent la direction à prendre, mais ils ne savent pas localiser la crèche. Puis Hérode réunit tous les chefs des prêtres et tous les scribes d’Israël, excusez du peu ! On sait, c’est sûr disent-ils : " C’est à Bethléem en Judée que doit naître le berger d’Israël. "
Là encore quelle ironie ! Les mages ne savent pas vraiment, ils se doutent de quelque chose et se mettent en route, " ils se bougent ! " D’autres, à Jérusalem, ne se bougent pas du tout. Ils savent pourtant scruter les Écritures ! Mais confits dans leur peur, ils ne peuvent parcourir les quelques kilomètres qui séparent Jérusalem de Bethléem. Souvenons-nous maintenant du soir de Noël : les bergers, pauvres supposés ne pas savoir grand-chose, étaient les premiers à se réjouir de l’heureuse naissance. Ah, n’entendez-vous pas déjà la joie de Jésus devenu homme : " Je te rends grâce, Père, d’avoir caché cela aux sages et aux savants et de l’avoir révélé aux tout-petits ! "
Troisième provocation à propos de la frontière du salut, c’est-à-dire de la vie avec Dieu : qui est dedans, qui est dehors ? Acceptez, voulez-vous, un rapide parcours à travers les trois lectures de notre messe. Dans la première lecture, l’espérance est clairement destinée au peuple que Dieu s’est d’abord choisi. " Debout Jérusalem, sur toi se lève le Seigneur, et sa gloire brille sur toi ! " Puis dans l’Évangile, la frontière craque : nous sommes à Bethléem, juste à côté de Jérusalem. Là, les étrangers reconnaissent davantage le Sauveur que les scribes et les prêtres. Enfin dans la deuxième lecture de ce jour, Paul révèle aux Éphésiens le mystère que Dieu n’avait pas fait connaître aux hommes des générations passées : " les païens, dit Paul, sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile ".
Il commence bien fort ce bébé de la crèche ! À peine né, Dieu par lui bouscule le pouvoir des hommes, leur savoir et leur propension à ériger des frontières. Eh bien c’est cela tout simplement l’Épiphanie. Le mot d’Épiphanie signifie révélation, manifestation de ce qu’est Dieu véritablement. Combien Seigneur, Tu nous emmènes loin, combien Tu nous hisses haut ! Nous honorons le tout-petit de la crèche, mais nous savons que nous irons avec lui plus loin, plus haut : Déjà nous entendons aussi le prophète de Nazareth, qui disperse les superbes et relève les humbles. Déjà nous entendons le miséricordieux qui dit n’être pas venu pour les justes et les bien-portants mais pour les pauvres et les pécheurs. Déjà nous entendons le supplicié de la croix qui prie : " Père, pardonne-leur ".
Une nouvelle année commence : apprends-nous, Seigneur, à marcher sur notre peur !
Références bibliques :
Référence des chants :