Lors de la réunion préparatoire d’un centre de vacances, le directeur partageait avec son équipe la liste des participants. A l’énoncé du nom de Damien C., une animatrice de sursauter et de s’écrier : « Mais c’est le petit frère de François C. Rappelez-vous : cet adolescent qui, par ses provocations incessantes et son comportement agressif, nous avait pourri le camp voici deux ans. Soyons sur nos gardes, chers collègues, et sachons réagir fermement dès le premier écart, si nous voulons éviter que la situation se reproduise ! » Personne ne connaissait ce petit Damien, et voici qu’on lui taillait déjà le costume du grand frère !
N’est-ce pas un peu ce qui se passe dans la tête des habitants de Nazareth, dans le récit que nous fait Marc du retour de Jésus dans le lieu où il a grandi. « N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Et on connaît bien ses sœurs qui sont de chez nous. » Comment pourrions-nous alors croire tout ce qu’on raconte sur lui, ces soi-disant miracles qu’il aurait opérés à Capharnaüm ? Non, ce n’est pas possible. Nous, on le connaît bien ce fameux Jésus, dont tout le monde parle. D’ailleurs, constatez-le vous-même : ici, il se montre incapable de faire le moindre miracle. Rappelons en effet qu’un miracle n’est un signe que pour celui qui croit. Une fois réalisé, Jésus conclut à chaque fois, non pas en disant « Je t’ai sauvé », mais « Ta foi t’a sauvé. »
Dans ce récit, Marc établit une corrélation entre le manque de foi des habitants de Nazareth et l’incapacité de Jésus à effectuer des miracles : « Nul n’est prophète en son pays ! »
Il est en effet une manière de penser connaître l’autre en l’enfermant dans le statut de « fils ou fille de … ou bien de frère ou sœur de … ». Et cette prétendue connaissance nous empêche alors d’accueillir la nouveauté de sa parole, de nous laisser surprendre par les actes qu’il pose. En l’enfermant ainsi dans la représentation qu’on se fait de lui à partir de son milieu familial et social, on ne lui permet pas de nous étonner.
Cette leçon vaut pour nous aujourd’hui. Il est des représentations que nous nous faisons du Christ qui nous empêchent de l’entendre nous parler par la voix des petits et des pauvres, ces personnes que l’on a souvent tendance à enfermer dans leurs fragilités, au point de ne pas nous laisser interpeller par leur message. Rappelons-nous l’expérience de Paul, qui connaît le poids de ses faiblesses. Mais le Seigneur de lui rappeler justement que sa puissance donne toute sa mesure dans la prise en compte de cette faiblesse.
Je conclurai alors par ce conte que certains d’entre vous connaissent peut-être : l’histoire de cet homme empli de foi à qui le Seigneur a promis de passer chez lui ce jour pour venir le visiter. Alors, durant toute la journée, il range et nettoie sa maison, de manière à honorer le visiteur qu’il va accueillir. En fin d’après-midi, des enfants désœuvrés frappent à sa porte pour venir jouer chez lui et recevoir quelques bonbons. Mais lui de les renvoyer sèchement, leur disant qu’aujourd’hui il attend un visiteur important et qu’il est donc hors de question de mettre du désordre dans sa maison qu’il a si bien préparée. Et avec ce même prétexte, il renvoie à l’heure du diner un mendiant venu quémander quelque nourriture, ainsi qu’en fin de soirée une femme qui avait été renvoyée de chez elle et cherchait un endroit pour dormir. Et l’homme continue d’attendre en vain la visite espérée. Lorsque minuit sonne, il se met à prier, en reprochant vivement au Seigneur de ne pas avoir tenu sa promesse. Et le Seigneur de lui répondre : « Mais j’ai frappé trois fois à ta porte ce soir, et tu ne m’as pas reçu ! »
Ainsi le Seigneur continue de nous parler aujourd’hui par la voix des plus petits, dont la vie est si difficile en ce temps de crise et de guerre. Ce sont les prophètes de notre temps, qui vivent au milieu de nous. C’est à chacun d’entre nous qu’il revient alors, comme le dit Ezechiel, « de les écouter ou de ne pas les écouter » !