Hé les amis ! Il faut que je vous raconte…
Ce qui vient de m’arriver est complètement fou ! Je rentrais des champs, épuisé, c’était à l’heure de midi, lorsque le soleil tape le plus fort. J’entendais au loin un brouhaha inhabituel, curieux je me suis approché pour voir.
Je vis un homme, encadré de soldats romains ; il portait une croix sur le dos. Soudain sans m’attendre à rien, j’étais projeté à ses côtés : « donne-lui un coup de main », vociférait un des soldats. Me voici mêlé au destin de ce condamné. J’ai fait de mon mieux, je n’avais pas le choix. La croix l’écrasait, il titubait sous le fardeau, broyé par la charge trop lourde. J’ai essayé de prendre ma part, de coordonner mes pas aux siens, avançant au même rythme que lui. Cette croix était souillée de sang et de transpiration, je l’avoue, cela me répugnait. Je sentais sa respiration, je le voyais souffrir et l’entendais gémir. Mais plus j’avançais sur ce chemin de calvaire, plus j’avais l’intuition que ce condamné n’était pas un condamné comme les autres : pas une parole, mais l’échange de nos regards se passait de mots. Cet homme souffrant et muet a bouleversé mon cœur. Arrivé au lieu de la crucifixion, les soldats m’ont chassé, mais j’observais de loin. Cette rencontre m’a marqué à tout jamais. J’en pleure et j’en tremble encore. Plus tard j’apprenais que cet homme était Jésus de Nazareth, le Christ, le fils de Dieu, qui a donné sa vie par amour pour les hommes.
Frères et sœurs, vous avez reconnu dans cet homme Simon de Cyrène.
On ne sait que peu de choses de lui. Ce qui est frappant, c’est d’abord son anonymat. Tout juste, sait-on qu’il était originaire de Cyrène en Afrique du Nord. De nos jours on dirait que c’est un immigré, un maghrébin !
L’évangéliste Marc prend même le soin de préciser qu’il était père de deux garçons : Rufus, prénom romain, et Alexandre, prénom grec : joli clin d’œil à l’universalité de la fraternité.
Ce qui est aussi impressionnant chez Simon de Cyrène, c’est la place privilégiée qu’il a prise dans le mystère de la passion du Christ. Et quelle place !
Il a reçu involontairement l’immense honneur de porter la croix du Seigneur. Jésus a humblement accepté de ne pas pouvoir la porter seul. Dieu a besoin de l’homme et Simon devient son instrument.
Les apôtres qui étaient assidus à l’enseignement de Jésus sont absents. Judas est allé se pendre, l’autre Simon pleure son reniement et Jean suit les événements à distance. Simon de Cyrène est ainsi devenu le premier disciple de Jésus qui avait dit : « celui qui veut être mon disciple, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ».
En aidant Jésus à porter sa croix Simon de Cyrène devient le symbole de l’universelle compassion. Il a ainsi contribué, au prix de sa propre souffrance, à la tâche de celui qui a racheté tous les hommes.
Dommage qu’il n’ait jamais eu sa place dans le calendrier des saints. Lui qui a été le partenaire du plus bouleversant événement de l’histoire est tombé dans l’oubli.
Frères et sœurs,
Des Simon de Cyrène il y en a beaucoup parmi vous, des gens simples, sans histoire, les « saints du voisinage ». Ils passent leur temps à relever le frère. N’est-ce pas cela, porter la croix de l’autre ? N’est-ce pas cela donner la vie quand tout se meurt ?
Pensons simplement à ces merveilleux gestes de solidarité et de fraternité accomplis, lors du premier confinement, par celles et ceux que nous considérions comme non-essentiels : la boulangère, la caissière, l’éboueur… Chacun portait sa croix pour le bien de tous, elle devenait ainsi un peu plus supportable.
Chers amis,
Jésus continue à être crucifié dans le monde tant que des frères et sœurs sont méprisés et outragés dans leur dignité humaine, tant que l’homme connaît souffrance, solitude et angoisse… Ces croix sont encore trop nombreuses !
Qu’attends-tu frère, ami, pour les alléger et rêver ensemble le « désir universel d’humanité » comme nous y invite François. Alors, à l’image de Simon de Cyrène, en relevant ton frère, tu seras le « Samaritain de Dieu ».