Frères et Sœurs,
Nous n’imaginons pas à quel point ce que le Christ vient de nous dire – « Le Royaume de Dieu est proche » – est vrai. Le Royaume de Dieu, oui, il est là, tout proche, à portée de main, à portée de cœur.
Parce qu’il suffit que nous en fassions notre désir, notre engagement, pour qu’il soit là. Comme une semence, une graine, même encore toute petite, mais si nous la laissons pousser et croître, elle va devenir un grand arbre, où bien des oiseaux du ciel pourront venir faire leur nid.
Le « Royaume de Dieu » : un arbre pour accueillir les oiseaux du ciel, où chacun peut venir faire son nid, et où en même temps les autres sont tout proches, dans un joyeux voisinage plein de chansons. Un royaume dont le roi n’a rien à voir avec nos royaumes terrestres, car la seule règle, la seule forme de relation qui y règne, c’est : « Tu aimeras ton Dieu de tout ton cœur, et tu aimeras les autres comme toi-même ». Rien d’autre ! Voilà pourquoi ce Royaume de Dieu est si proche de nous : tout simplement parce que c’est à notre portée d’aimer, bien plus que nous ne pensons – oui, nous sommes capables d’écouter, de partager, de donner gratuitement.
Voilà donc l’objectif de ce Carême qui s’ouvre aujourd’hui : croire que cette capacité de bonté est vraiment à notre portée, et nous y donner, nous y convertir.
Souvent, bien sûr, cette capacité est affaiblie, blessée, ou enfouie si profondément que nous ne la voyons plus, chez nous ou chez les autres.
Mais alors le Christ va nous guérir, nous relever. Il vient pour cela : guérir le mal qui nous blesse, celui que nous faisons comme celui que les autres nous font, pour justement relever en nous cette capacité à aimer qui est la nôtre. Quelles que soient nos fautes, notre violence, il vient libérer en nous cette bonté native que Dieu a mise dans notre cœur dès le premier moment de notre existence. Il a confiance en nous, lui – parce qu’il sait de quelle bonté Dieu nous a pétris.
Evidemment, le Christ, en annonçant cette bonne nouvelle, était totalement conscient de la réalité humaine. Il n’est pas un doux idéaliste. Il voyait la dureté de l’occupation que les Romains faisaient peser sur son peuple, l’injustice des puissants qui écrasent les petits et les humbles. Il savait la dureté de la vie, comme il savait la jalousie, la cruauté dont nous sommes capables. Et aujourd’hui, il sait l’individualisme égoïste de notre société mondialisée, les enfants victimes des abus sexuels, le refus du dialogue. Il sait le fanatisme religieux, comme ici même à St Etienne du Rouvray où notre frère Jacques Hamel a été assassiné.
Alors, quand le Christ nous dit : « le Royaume de Dieu est tout proche, parce que toi, tu es capable d’aimer », non, il n’oublie rien de tout cela.
Au contraire. C’est là, et parce qu’il y aurait tellement de quoi désespérer, qu’il nous affirme cette nouvelle incroyable : ce mal, si profond, eh bien il y a quelque chose d’encore plus profond, d’encore plus fort que nous pouvons trouver en nous : une force divine et humaine de communion fraternelle, celle que nous nommons l’Esprit saint, l’Esprit d’amour. En nous. Comme nous en avons le signe ici même dans cette communauté où vous choisissez, et rechoisissez, jour après jour, de reconstruire la paix, le pardon et la vie. Comme nous aussi nous en avons la preuve si souvent dans nos existences.
Alors, oui, c’est vrai, c’est un combat de tous les jours. Un combat qui « commence dans l’intériorité de chacun, dans le désir difficile et souvent douloureux de faire émerger, en soi, de soi, mais pas seulement pour soi, des mots et des actes au goût de lumière » (Catherine Chalier). Voilà le combat de conversion dans lequel ce Carême nous demande de nous engager, parce que le Royaume de Dieu est là, tout proche, à notre portée.
Une image, une belle image pour conclure, celle de l’arc-en-ciel qui nous était rappelée dans la 1ère lecture : oui, là même où l’humanité s’était engloutie dans le mal, Dieu fait briller son arc-en-ciel.
L’arc-en-ciel : toute cette diversité de couleurs qui sans rien perdre chacune de ce qu’elles sont, se rejoignent et s’unissent dans l’harmonie.
L’arc-en-ciel : le symbole de la paix car ces couleurs différentes viennent toutes d’une seule et même lumière, du même soleil de Dieu.
Le soleil qui brille dans le Royaume de Dieu. Ce soleil qui, déjà, s’est levé dans nos cœurs pour y faire naître des paroles, des gestes « au goût de lumière ».