Imaginez-vous, écrit Marc Lévy dans son livre « Et si c’était vrai… », qu’à partir de demain votre banque vous offre dorénavant chaque matin la somme de 86 400 euros. Une exigence : cette somme devra être dépensée durant la journée. Vous pouvez l’utiliser pour vos propres besoins ou pour offrir des cadeaux à d’autres. En tout cas, il n’est pas question de la déposer sur un livret d’épargne. Et tout l’argent que vous n’aurez pas utilisé sera perdu à jamais. Vous n’avez pas à vous en faire puisque le lendemain vous aurez à nouveau 86 400 euros qui vous attendent sur votre compte. De plus, vous fait remarquer la banque, elle peut interrompre ce cadeau quand elle le souhaite et sans vous prévenir.
Chacun d’entre nous évidemment se met à rêver et à faire de superbes projets. Cette banque n’est pas si imaginaire que cela. Nous la possédons toutes et tous : il s’agit de la banque du temps. Chaque journée nous est créditée de 86 400 secondes. Ce temps, nous le dépensons pour nous et pour les autres et tout temps qui est passé est dépassé à jamais. Le temps se goûte à chaque instant. C’est pourquoi, il est préférable d’ajouter de la vie au temps plutôt que du temps à la vie. Il est illusoire de croire que plus nous aurons de secondes disponibles à dépenser, plus nous serons heureux. Donner plus de temps à la vie ne nous appartient pas. C’est la nature qui le décidera. Par contre donner de la vie au temps est du ressort de notre propre liberté. La qualité de l’occupation de mon temps m’appartient. C’est à moi, en lien avec celles et ceux qui m’entourent, de décider comment je vais l’utiliser. En effet, ce n’est pas l’événement qui fait la vie mais plutôt la manière dont je le vivrai. Alors prenons le temps de vivre, le temps d’aimer. Aimer signifie d’ailleurs prendre le temps de le perdre mais ensemble.
N’est-ce pas cela même le sens de l’abondance de la vie dont nous parle le Christ dans l’évangile de ce jour. Pour vivre cette promesse de l’abondance de la vie, nous sommes conviés à nous « endieuser », ce verbe est emprunté à l’écrivain Joseph Delteil. S’endieuser, c’est accepter de revêtir le Christ, ou encore de se laisser enrober par le Père. Dès l’instant de notre baptême, toutes et tous, nous avons été endieusés. En effet, nous portons en nous et sur nous la marque de l’Esprit Saint. L’endieusement se découvre dans une disposition de cœur : se laisser recouvrir par l’amour de Dieu qui se révèle dans le drapé de notre être.
Au fil de la vie, cet habit de lumière créé par le Père, dessiné dans le Fils et confectionné par l’Esprit peut, suite à certaines saisons douloureuses de l’existence, se ternir, voire s’abîmer. L’échec professionnel, la maladie, la vieillesse, les diverses souffrances auxquelles nous sommes confrontés, sont autant de facteurs qui peuvent altérer la qualité de notre vêtement intérieur. Heureusement pour nous, dans la foi, le plus grand couturier depuis la Création du monde est l’Esprit Saint qui n’utilise que le fil d’or de la tendresse pour réparer nos blessures les plus profondes. L’aiguille de la douceur, tenue par une main d’amour, vient caresser la béance de certaines parties de notre être et de notre histoire pour la recouvrir à nouveau d’un point qui relie, d’un mouvement qui réconcilie, d’une attention qui attendrit. En Dieu, il y a toujours l’espérance. Et cette dernière se laisse découvrir dans la rencontre humaine. Il ne faut pas grand-chose, juste deux cœurs prêts à s’accorder pour que le souffle de l’Esprit puisse agir en nous.
S’endieuser devient ainsi l’espérance merveilleuse que Dieu est avec nous, que Dieu est en nous. Il ne nous lâche pas et nous convie à le chercher dans les traces laissées par son Fils et dans les marques de l’Esprit agissant par le biais des créatures humaines. L’endieusement nous fait alors prendre conscience que nous sommes toutes et tous appelés à la vie, c’est-à-dire à oser la regarder en face avec ses beautés et ses moments plus douloureux, à l’écrire avec une plume trempée dans l’encre de l’amour habité par cette conviction que l’encrier ne se videra jamais puisqu’il prend sa source dans le Fils.
Tel est le sens premier du salut dont nous parle les Écritures aujourd’hui. Dieu nous appelle à l’abondance de la vie. Dieu nous appelle à l’abondance de l’amour. Telle est notre destinée de croyantes et croyants car seul l’amour importe puisque toujours il nous emporte dans le temps de l’éternité divine. Passons par le Christ, suivons ses traces et nous serons sauvés.
Amen.
Références bibliques : Ac 2, 14a.36.41 ; Ps. 22 ; 1 P 2, 20-25 ; Jn 10, 1-10
Référence des chants :