Il est difficile d’être séparé de celui qu’on a aimé et les séparations amoureuses ou le deuil d’un proche marquent notre expérience.
La mort de Jésus, pour ceux qui l’avaient suivi, est une expérience analogue et son retour auprès des disciples d’Emmaüs, va nous conduire à nous interroger sur ce qu’est la foi. Au détour d’une histoire, saint Luc nous fait réfléchir à la présence de celui qu’on ne voit pourtant pas ou le fait de le reconnaître au moment où le voici absent. Mais que nous est-il arrivé pour que nous-mêmes, aujourd’hui, nous croyions ?
Dans la foi, nous découvrons le Christ qui est à nos côtés, comme un ami. Cependant, reconnaissons-le, croire en lui, aujourd’hui, c’est quand-même toujours croire sans voir. La foi, c’est l’épreuve d’un silence.
Jésus met du temps à se faire reconnaître. Et puis s’il nous parle, c’est comme de biais par une Parole qui émerge de l’Écriture. Mais cela ne suffit quand même pas ; il y a en nous quelque chose qui bloque. D’où cela vient-il? La foi, c’est faire l’expérience de découvrir ce qui nous « décoince ». Découvrir que par-delà l’absence éprouvée, il y a la réalité de la présence du Christ.
Cela se fait en deux étapes.
La première étape de la foi, c’est lorsque Jésus lui-même suscite chez les deux voyageurs d’exprimer le désir de sa présence : « Reste », lui disent-ils. Il le fait juste après s’être intéressé à eux, à leur espérance déçue ; ainsi Jésus se fait apprécier pour lui-même, avant-même qu’ils ne sachent qui il est. C’est comme si l’amour précédait la foi consciente.
La deuxième étape est dans le prolongement de la première. La foi consciente émerge quand Jésus choisit de se faire reconnaître dans le partage du pain. Parce qu’il n’y a que lui – le Christ – qui exprime si parfaitement son amour : « Prends, mange, c’est moi pour toi, pour que tu vives. » Mais, c’est à ce même moment qu’il nous échappe. Reconnaître sa présence, et tout en même temps, faire l’expérience de son absence. Voilà qui est déroutant.
C’est très frustrant. N’y aurait-il que ces deux alternatives pour croire : être avec lui et ne pas savoir que c’est lui, ou, après l’avoir reconnu, devoir accepter qu’il ne soit plus là ?
Non, croire c’est paradoxalement vivre ce deuil de la présence « visible », car de toute façon, les yeux deviennent inutiles : plus besoin de voir, puisque l’on croit ! Alors croire, c’est être capable de faire confiance à partir d’une rencontre fugitive, dont il ne reste presque rien : pas de preuves, mais cependant, une trace dans le cœur brûlant. Et croire, c’est partager cette expérience avec d’autres qui la font aussi, pour peu que l’on prenne la peine de les retrouver et de leur en parler, comme le firent entre eux les deux pèlerins d’Emmaüs. C’est l’expérience de la communauté, la vie de l’Église.
Je ne vois pas directement le Seigneur Jésus. Tout passe par des signes. Mais je crois, avec la joie d’un cœur brûlant. Et dans l’eucharistie, signe par excellence de la réalité de sa présence, j’anticipe la rencontre face à face. Et je refais avec les autres le signe de la reconnaissance : je mange le pain et je bois à la coupe qu’il me tend. Ce geste est une confession de foi : mon désir du Christ, la reconnaissance de sa présence, la sérénité devant son absence, sa vie donnée pour moi, notre reconnaissance mutuelle et l’expression de ma gratitude. Mon action de grâce.
Amen.
Références bibliques : Ac 2, 14.22b-33 ; Ps. 15 ; 1 P 1, 17-21 ; Lc 24, 13-35
Référence des chants :