Un veau de métal ou bien le Bon Berger?
Quand tout va mal, quand on se sent perdu, abandonné, à quoi, à qui se raccrocher ?
Cette question, elle traverse certainement l’esprit de beaucoup parmi les participants à notre eucharistie ce matin. Elle habite, bien entendu, l’existence douloureuse de centaines de millions de personnes à travers le monde. Auprès de qui peuvent-elles implorer un secours ces familles d’Ossétie du nord dont les enfants ont été massacrés ces derniers jours à l’occasion d’une criminelle prise d’otages ? Comment croire dans la bonté de Dieu alors que vous vous enfoncez chaque jour dans la misère la plus grande et que rien ne laisse croire que la situation va s’améliorer ? Quand on se tourne vers le Ciel, celui-ci ne paraît-il pas trop souvent silencieux, qu’on implore Jésus, Marie ou Allah ? Notre messe télévisée est vécue ce dimanche avec la communauté haïtienne catholique de l’Île-de-France, à l’occasion du bicentenaire de l’indépendance de cette première république noire du monde. Or Haïti est un des pays les plus pauvres de la planète, un pays où la majorité du peuple survit mais meurt aussi dans des conditions infra-humaines. Quelle peut-être la prière des Haïtiens quand ils se trouvent au plus profond de la détresse ? Vers qui peuvent-ils se tourner ?
La première lecture que nous avons écoutée, il y a quelques instants, nous a rappelé l’épisode du veau d’or. Nous avons tous l’histoire en tête. Quarante jours s’étaient écoulés depuis que Moïse avait quitté son peuple pour aller rejoindre le Seigneur sur la montagne. Le peuple lui avait fait confiance jusque-là. Moïse ne l’avait-il pas sorti de l’esclavage de Pharaon ? Mais l’absence n’en devenait que plus insupportable. Soudain le peuple prit peur. Il se crut abandonné. Il pensa même que Moïse était mort. Alors que fit-il ? Il demanda à Aaron, le frère de Moïse : « Fais-nous des dieux qui marchent devant nous ». Donne-nous des dieux qu’on puisse voir, toucher ! Donne-nous de la sécurité ! Et Aaron va s’exécuter, en essayant de gagner du temps, car il a compris que le peuple était dans un tel état d’angoisse et de désarroi qu’il pouvait plonger dans toutes les folies, et notamment dans la violence meurtrière.
Le passage du Livre de l’Exode que nous avons entendu nous raconte que, après cela, Dieu qui a été trahi par le peuple qu’il s’était choisi, renonce à sa colère et accepte, sur la prière de Moïse, d’accorder son pardon. Sans doute Dieu a-t-il pris en compte le désarroi du peuple, ses besoins de sécurité. La construction du veau de métal ne se voulait pas une injure au Dieu de Moïse : elle traduisait le besoin des hommes d’être secourus, réconfortés, par une présence supérieure.
Je crois que nous restons très proches des Israélites qui ont construit le veau de métal. Nous aussi nous voulons un dieu (des dieux ?) qui sécurise(nt). Nous aussi nous avons besoin d’un dieu qui se voit, un dieu qui se touche… Mais les veaux de métal sont encore plus muets que le Dieu invisible ! Les veaux de métal, quels qu’ils soient, ne parlent pas le langage de la Bible. Ils sont impuissants à nous parler d’amour. Ils ne peuvent pas exprimer une quelconque compassion et la moindre miséricorde ! On se trompe quand on va chercher Dieu dans des idoles, dans d’illusoires sécurités matérielles. Car Dieu est relation. Dieu est Parole qui se communique par la voix des prophètes et par celle de nos dialogues intérieurs. Dieu est une Parole qui circule et qui se donne jusqu’à avoir pris chair dans le plus doux des hommes: Jésus de Nazareth, mort sur une croix dans un témoignage d’amour absolu et ressuscité par la puissance de vie de Dieu.
Permettez-moi, ici, de vous citer quelques phrases d’une prière afro-américaine du début du XXe siècle (elle est du poète Countee Porter Cullen) :
"Notre Père, Dieu ; notre Frère, Christ,
Ainsi nous enseigne-t-on à prier;
Cette parenté semble bien peu de chose
À ceux qui pleurent tout le jour.
Notre Père, Dieu ; notre Frère, Christ,
Ou sommes-nous des familles de bâtards
Pour qu’à nos plaintes tes oreilles soient sourdes
Et tes portes verrouillées du dedans ?
Notre Père, Dieu ; notre Frère, Christ,
Relève à nouveau ma race ;
Alors tu retrouveras la brebis galeuse que je suis
Et mon coeur païen. Amen. »
Paternité de Dieu. Fraternité du Christ. Là seulement peuvent se trouver nos sécurités. Vous avez entendu les deux petites paraboles contenues dans le passage de l’Évangile de Luc de ce dimanche. Dieu y est notamment comparé à un berger qui est prêt à tout risquer pour retrouver la brebis qu’il a perdue. Cette parabole ne peut que parler très fort à notre coeur. Car cette brebis qui soudain prend plus d’importance que les quatre-vingt-dix-neuf autres, et que le Bon Berger va chercher au loin, plein d’anxiété, c’est moi, bien entendu! C’est chacun(e) d’entre nous ! Oui c’est moi ou toi que Dieu se met à aimer plus que les autres ! C’est moi ou toi qui deviens l’être dont la présence, l’existence s’avèrent absolument nécessaires, irremplaçables ! Avez-vous déjà entendu un veau de métal vous dire : « Tu as du prix à mes yeux. Je t’aime plus que tout » ? Or ce langage là, la Bible le tient tout au long de ses pages. Surtout, il est celui que le Christ ne cesse de nous tenir, à travers son Évangile, par le canal de son Esprit Saint qui s’adresse à nos coeurs, mais aussi par l’entremise de tous les témoins vivants de son Amour.
J’ai commencé mon homélie en demandant: vers qui se tourner quand tout va mal, à qui se raccrocher ? Je connaissais déjà la réponse, bien entendu : vers le Bon Berger, le Fils Unique du Père Unique ! Vers le Père de toute Miséricorde ! Mais j’y ajoute avec force : vers vous ! Vers vous, disciples du Dieu d’Amour et de Miséricorde ! Vers vous dont Dieu attend que vous soyez les témoins visibles de cet Amour et de cette Miséricorde ! Ainsi je sais que beaucoup parmi les Haïtiens de France ont le souci permanent de leurs parents et amis qui sont restés en Haïti. Votre solidarité, bien entendu, ne doit pas faiblir. Quand vous secourez vos frères, vous allez à la rencontre même du Christ qui s’identifie à tous les « petits » de la terre. Mais vous êtes aussi vous-mêmes le Christ qui vient au secours de ses frères !
Oui, que le Dieu d’Amour nous aide à être dans le monde les sacrements de sa Présence et de son Salut.
Amen.
Références bibliques :
Référence des chants :