Frères et sœurs, avez-vous déjà pleuré en regardant des épreuves sportives, devant les jeux olympiques par exemple ? Vous trouvez ça peut être un peu ridicule, mais je pense que nous sommes nombreux, je me mets bien sûr dedans, à être touché par l’émotion face à la magie du sport : quand le judoka que personne n’attendait parvient jusqu’en finale, quand la solidarité s’exprime face à la souffrance dans une épreuve d’endurance, ou quand renaît l’espoir de la victoire alors que tout semblait perdu... Alors peut-être !
Et avez-vous déjà pleuré en écoutant l’Évangile ? … ce n’est pas tout à fait le même registre, mais la bible parle pourtant bien des « exploits du Seigneur » ! Et la façon dont nous sommes touchés par une performance sportive n’est pas si lointaine de l’attitude que Jésus attend de ses auditeurs, dans l’Évangile que nous venons d’entendre.
Face aux jeux olympiques, nous sommes d’abord éblouis par une sorte de performance pure, par la coulée du nageur, par le smash du joueur de tennis de table, par le take off de la surfeuse ! On est presque hypnotisé par la beauté de ces gestes qui semblent surhumains tant ils sont éloignés de nos propres capacités. Et la limite serait de ne les regarder qu’en spectateur d’images chocs. On like le post instagram et on passe à autre chose !
C’est ce qui arrive aussi à ceux qui suivent Jésus. Dimanche dernier, ils ont assisté à l’épreuve de « ravitaillement des foules les mains vides », ils ont été impressionnés par la puissance de Jésus et ils en veulent encore ! Mais Jésus est terriblement lucide : « Vous me cherchez parce que vous avez mangé et que vous avez été rassasiés ! » Vous pensez vous intéresser à moi, mais vous êtes enfermés en vous-même. Vous regardez, mais vous ne voyez pas. Vous écoutez mais vous n’entendez pas !
Il faut donc, comme croyants, aller plus loin. Mais pas de panique, nous savons le faire devant le sport, alors pourquoi ne pas transposer ? Lorsque nous sommes touchés par un exploit sportif, il ne s’agit pas simplement de performance physique. Nous sommes émus parce que nous percevons les sentiments de l’athlète : le stress qu’il ressent, sa concentration vers l’objectif, sa joie qui explose. Son geste est également le signe de toute l’histoire qui l’a conduit jusqu’à cet instant : le rêve qui l’a porté, les longues séances d’entraînement, les efforts consentis pour atteindre le plus haut niveau.
Jésus aussi invite ses auditeurs à savoir décrypter les signes qu’il pose. Il veut que leur intelligence se mette en marche pour reconnaître, au-delà de l’acte extraordinaire, ce qui anime plus profondément son geste. Dans notre Évangile, c’est d’abord l’intention de Jésus, qui, en multipliant les pains, témoigne de sa volonté de prendre soin de ceux qui viennent à lui. Il veut être le bon berger qui conduit ses brebis vers les prés d’herbe fraîche. Il veut aussi avec eux déjeuner sur l’herbe pour leur montrer sa proximité, qui n’est pas simplement celle d’un rabbin de Capharnaüm, mais celle de Dieu lui-même dont il est l’envoyé et le Verbe. L’acte de Jésus, au bord de la mer de Tibériade, est la continuité de l’action du Fils de Dieu qui, de toute éternité, a pris soin de son peuple. Le pain partagé sur le bord du lac vient de la même main que celle qui s’était ouverte au temps de l’exode, pour donner la manne aux hébreux dans le désert. Sous l’angle du signe, le miracle n’est pas d’abord un instant figé dans un éclat aveuglant, mais un fil de lumière qui nous conduit à travers toute l’histoire du salut jusqu’à son origine. L’amour manifesté dans l’événement de la multiplication des pains est le même que celui qui a fait surgir la création du néant et scellé l’alliance avec les hommes.
Enfin, l’émotion ressentie devant le sport peut nous attacher à certains sportifs, qui deviennent alors pour nous des exemples, et leurs témoignages, une nourriture spirituelle. Ils nous rejoignent dans la détresse de l’échec, ils nous donnent le courage de nous relever, en croyant à la possibilité d’une prochaine victoire. Ils témoignent aussi de la force de la passion qui unifie leur existence et lui donne un objectif. Le Christ lui aussi est pour nous un modèle. Mais sa « passion » pour l’humanité est plus qu’un exemple. En allant jusqu’au bout, jusqu’au don de sa vie, elle accomplit totalement son désir de se donner en nourriture pour combler la faim des hommes. C’est une nourriture spirituelle et pourtant très concrète, c’est l’eucharistie que nous allons recevoir dans quelques instants.
Nous n’allons voir qu’un peu de pain, mais notre foi l’affirme, c’est le Corps du Christ, le corps de celui qui a multiplié les pains, le corps de celui qui est mort sur la croix. Le corps du Ressuscité au matin de Pâques. Laissons-nous toucher par l’émotion face ce désir immense, surgi de l’éternité du cœur de Dieu, incarné dans l’existence de Jésus, donné à tous pour combler notre faim. Ce petit rond de pain est notre médaille d’or. Amen !