On aimerait tant que les chrétiens se taisent, surtout s’ils ne disent pas ce qui plaît, s’ils proclament ce qui dérange. On préférerait une Église de sacristie. Mais n’est-ce pas aussi : « Nous, chrétiens, aimerions tant une Église de sacristie, qui reste bien dans son cocon bien chaud, qui ne dise rien ou ne fasse rien qui dérange ou qui ne plaît pas. » Avouons que c’est très confortable d’être une petite communauté chaleureuse, aimée de tous, sans bruit, sans vagues, utilisant et langue de bois et langue de buis.
Voilà Jésus à Jéricho ! Ça grouille de Romains partout : normal, c’est une énorme garnison surmontée par une forteresse. Il faut se faire tout petit. Mais voilà que quelqu’un crie, non pas chuchote, mais crie, hurle : « Fils de David ! » Les Juifs le savent, mais les occupants aussi : Fils de David égale Messie ; ce Messie qui va bouter les Romains dehors. « Ce n’est pas raisonnable, c’est risqué, on va nous détester ; par pitié, tais-toi ! » Mais il continue de plus belle.
Mes amis,
Fondamentalement, nous sommes et les disciples et l’aveugle. Au secret de notre cœur, nous sommes Bartimée. Nous voulons tout donner, tout faire, tout vivre avec Jésus ; nous savons si bien qu’il est celui qui nous met debout, qui nous remet sur la route. Avec la lecture du prophète, nous savons que son Père est notre père et que nous sommes fils et filles aînés, bien-aimés de ce père ; avec le psaume, nous chantons les merveilles que le Seigneur fait pour nous. Oui, Seigneur, tu es vraiment le Fils de David, le sauveur du monde, celui qui peut me remettre debout … et en même temps, qu’il est difficile d’oser se reconnaître de toi au cœur de notre quotidien ; de nous laisser pousser par le vent de l’Esprit. « Taisons-nous, pas de vagues ! »
Que va faire Jésus ? Il vient au secours et des disciples et de l’aveugle. Aux disciples il dit : « Appelez-le » ; il nous remet en mouvement, il hisse les voiles de nos existences pour que l’Esprit les gonfle. Il aurait pu appeler Bartimée tout seul, mais non, toi qui es ici, toi qui nous regardes « appelle-le », et du coup, voilà que le vent de Pentecôte revient en eux ; voilà que les froussards d’il y a quelques instants, sont remis en confiance et disent des paroles de confiance : « Confiance, lève-toi ; il t’appelle. » C’est déjà comme une première Pentecôte : « chacun les entendait dans sa langue ». Bartimée voit la confiance des disciples et entre dans la confiance : il bondit, comme la gazelle de la Bien-aimée au Cantique des Cantiques.
Et de la même manière qu’il a impliqué les disciples, voilà que c’est le tour du fils de Timée que nous sommes aussi d’être partie prenante : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » « M’enfin, Jésus, tu vois bien que je suis aveugle ! Question idiote, non ? » « Veux-tu vraiment guérir, voir et on pourrait continuer, entendre, marcher, être debout, ressusciter ? » « Oui, Seigneur, je viens de t’appeler Messie, je te demande de me prendre en pitié, mais ça veut dire quoi dans ma vie ? » Tendre délicatesse du Fils de l’Homme, pédagogie de Celui qui veut nous faire descendre au plus profond de nous-mêmes : quelle est ta faim, ta soif profondes ? Creuse et creuse encore. Tout au fond, se trouve une source et tu n’auras plus jamais soif.
Va, ta foi, ta confiance en moi t’a sauvé.
Va ! Tu étais assis, tu as bondi et te voilà debout, ressuscité.
Va ! Tu étais au bord du chemin et te voilà sur le chemin. « Je suis le chemin, la vérité et la vie ». Ne cherche pas la route, c’est moi, regarde-moi simplement, mets tes pas dans mes pas.
Va ! Tu étais seul et te voilà en compagnie des disciples ; tu découvres le mystère de l’Église, froussarde parfois, audacieuse et confiante parfois, mais toujours sur la route derrière celui qui est la route. « Il n’est pas bon que l’homme soit seul ». Il nous donne une aide semblable à nous.
Va ! Tu étais dans la ville la plus basse du monde, bien plus basse que le niveau de la mer, que le niveau de la mort et tu vas marcher, à sa suite, vers la haute cité de Jérusalem, la ville de Dieu, « ville où tout ensemble ne fait qu’un ».
Va ! C’est à Jéricho que le Peuple élu est entré dans la Terre promise, passant ainsi de la mort à la vie … et tu vas vers la ville où ton Maître, lui, va passer de la vie à la mort. Alors ?
Confiance, ta foi t’a sauvé ! Celui qui était mort, non pas sur le bord du chemin, mais hors-les-murs, c’est fort semblable, a fait confiance à son Père : « en tes mains, je remets mon esprit » et il est revenu à la vie. Et là où il y avait le tombeau, il y aura aussi très bientôt le tombeau vide.
Bienheureux disciples que nous sommes, bienheureuse Église que nous sommes qui, par Jésus, passons de la peur à la confiance. « Je suis avec vous, tous les jours, jusqu’à la fin des temps ».
Bienheureux fils de Timée que nous sommes aussi, qui quitte déjà le noir tombeau de la cécité pour la lumière de Pâques. Elles brillent déjà les lumières du sabbat, les lumières de Pâques, car « Il s’en va, il s’en va en pleurant, il jette la semence ; il s’en vient, il s’en vient dans la joie, il rapporte les gerbes. »
Amen.