Thomas a raison d’être sceptique ! Il a raison de ne pas croire trop vite, de demander quelques preuves. Il a raison de faire fonctionner sa raison ! Dans notre monde —qui croit de moins en moins en la vérité— n’y a-t-il pas parfois de saines méfiances, 
des doutes légitimes, des compréhensibles suspicions, qu’il nous faut développer précisément au nom de cette vérité que nous cherchons ? La croyance n’est-elle pas parfois plus proche de la naïveté 
que de l’intelligence ? 
Et le doute plus proche de la foi 
que de l’incroyance ? 
 
Thomas a, en un sens, raison d’être incrédule ! Cependant, Thomas se trompe... Car en cherchant son Dieu d’abord du côté de la preuve et du savoir, il se dispense d’entrer dans le champ du croire ! En cela, n’est-il pas comme nous, bien de notre temps ?  
C’est notre ‘vrai jumeau’, non seulement parce qu’il doute, mais aussi parce que —nous l’avons entendu— il arrive en retard après l’annonce de la résurrection, comme toutes les générations suivantes de chrétiens... Oui, il est bien le jumeau de ceux et celles qui cherchent des raisons de croire, d’aimer et d’espérer. Il est le symbole de notre quête de réponses à des questions fondamentales, qui ne peuvent en recevoir de définitives. 
 
Certes, comme Thomas, nous voudrions voir, comprendre, toucher... Mais lorsqu’il s’agit de la foi, n’est-ce pas justement un danger ? Celui précisément de ranger la foi dans le champ d’un contenu à transmettre, de faire ainsi des croyants… des sachants ! 
En ce sens, il y a ceux qui croient savoir, et qui pensent détenir des preuves. Et il y a aussi ceux qui savent croire… Ceux pour qui l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence…
 
Face à notre désir de réponses, le Christ Ressuscité nous laisse avec cette béatitude ultime : «Heureux ceux qui croient sans avoir vu». Comme si le doute et l’absence étaient constitutifs de notre bien-être, de notre bien-croire ; indispensables même à notre croissance ! Comme si le manque de preuve était le lieu d’une promesse. 
Cela ne se vérifie-t-il pas dans l’amour, l’espérance et la foi ?

Il n’y a, en effet, pas de preuve décisive lorsqu’on aime. 
Seul celui qui aime —sans sécurité d’être aimé en retour—  
découvre le véritable amour.

Il n’y aura jamais d’argument suffisant pour espérer. 
Seul celui patiente  —sans certitude de recevoir ce qu’il attend—
découvre ce qu’est la vivante espérance.

Il n’y a pas, non plus, de raison ultime de croire. 

Seul celui fait confiance —sans preuve— 
voit le monde autrement, en ne le réduisant à son inhumanité.

L’amour, l’espérance et la foi —tout comme l’incroyance—ne s’imposent pas, ne se démontrent pas. Et si une certaine suspicion nous rappelle parfois qu’il « faut le voir, pour le croire », la finale de l’Évangile nous indique un tout autre chemin : 
Il faut le croire pour le voir. Car…
C’est la confiance qui ouvre les yeux. 
C’est l’espérance qui donne de voir plus loin. 
C’est l’amour vrai qui offre la claire vision des choses essentielles. 


Pour le vrai croyant, ce n’est donc pas parce qu’il voit qu’il croit. 
Mais c’est parce qu’il croit, qu’il peut tout voir tout autrement. 

Qu’est-ce à dire, concrètement ?  

Si nous commençons par regarder le monde tel qu’il est, dans le but d’y trouver des raisons de croire, alors l’indifférence et l’agnosticisme ne seront jamais loin. Car face au réel, le désespoir aura beaucoup de chance de trouver une place dans notre cœur. 
 
Mais si nous prenons le chemin inverse : si nous commençons par croire et faire confiance, alors, nous parviendrons à voir le monde autrement, avec les yeux de Dieu. Et tout sera transformé ! 

Si vous commencez par regarder un proche simplement tel qu’il est, vous verrez bien vite ses côtés plus difficiles, et vous aurez des difficultés à croire en lui… Mais si vous commencez par croire en lui, et faites vôtre cette parole : « À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis », alors, vous verrez en cette personne davantage que ce que vous n’imaginez…
 
Si vous commencez par voir celles et ceux que vous ne connaissez pas —quelle que soient leur origine d’ailleurs— comme une menace, il s’agit d’accueillir cette parole : « Avance ton doigt, tend ta main vers son côté blessé ». Alors, les autres deviendront pour vous fils et filles de Dieu. Et vous « partagerez leurs détresses » !
 
En enfin, si vous regardez la vie —qui naît, grandit ou s’éteint— seulement avec les yeux de la science, il s’agit d’entendre cette parole : « la paix est avec toi ». Et croire que l’histoire d’un humain quel qu’il soit s’inscrit dans une destinée plus grande, celle de Dieu. Croire que notre vie ne s’achève pas au jour de notre mort ! 
Croire que la vie recèle toujours plus que ce qu’elle donne à voir…
 
Celui qui commence par croire de la sorte —avant de voir— trouve finalement en lui un chemin intérieur de paix, de libération. 
Sa vie devient alors soufflante, inspirée, pacifiée. 
 
« Heureux toi qui fais confiance, sans preuve. La paix est avec toi.» Amen

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