Il aurait été très sympathique d'écouter en ce dimanche un petit évangile engageant, du genre de celui de la “multiplication des pains”. On se serait vu participer à une Garden Party, assis sur l’herbe, en s'émerveillant du pain partagé, du poisson grillé et du soleil d’été enfin retrouvé. Un petit havre de paix, tranquillou, fraternel, pour clore avec surabondance cette année scolaire. Mais que nenni ! l'Évangile nous transporte sur la mer de Galilée avec, durant la nuit, de la tempête, des bourrasques et des vagues violentes. On pourrait croire à une erreur de scénario. On se retrouve plongé dans l'actualité de notre quotidien, instable et peu reposant, inquiétant.
D’abord, donc, une tempête.
“Mais qu’allions-nous faire dans cette galère ?”, auraient pu se dire les apôtres - et nous avec eux - sur cette mer de Galilée, située près du village de Capharnaüm - un grand bazar pluriethnique où Jésus a choisi d’installer son QG - et devant les hauteurs du plateau du Golan, qui peuvent culminer à 2000 m. Les climatologues nous apprennent, ai-je d'ailleurs lu, que les tempêtes, si fréquentes à cet endroit, sont dues à des différences de température avec les hauteurs environnantes. Je trouve ça instructif de se dire qu’une différence de niveau entre le haut et le bas, ça provoque des tempêtes…
Dans cette barque prête à couler, il y a Jésus présent. Mais que fait-il, lui ? il dort. Certes, il fait nuit mais avouez que c’est un peu surprenant. C’est “panique à bord !” et lui, il dort, pas le moins réveillé par les cris et les exclamations de ses amis. Il dort. Comme s’il était ailleurs, loin des inquiétudes de ses proches. Il dort. Comme cette perception malheureuse et désespérée qui nous habite lorsque, dans notre prière, nous nous sentons si seuls, si désœuvrés, quand nous tombons secoués par les tempêtes de notre vie et que le sol se dérobe. Il dort. Et détail insolite, il nous est précisé qu’il dort sur un coussin à l’arrière de la barque. Sur la route, il disait “ne pas avoir d’endroit où reposer sa tête” (Mt 8,20), mais sur la barque ballottée par les flots, Jésus dort sur un coussin. Le contraste est extrême, cette apparence de confort est troublante.
« Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? » La mer est secouée et Jésus, secoué à son tour par les disciples, est convoqué à agir. Il est des heures sombres où la prière se fait plus brute, plus directe, plus pauvre. Pas de grande manière, de préliminaire ou de pieuseté de façade. Les mots classiques mille fois répétés ne tiennent plus la rampe et semblent vidés de leur sens. La vérité de la situation exige un cri, dans une tempête aussi intérieure. “Cela ne te fait rien?” On peut même y entendre un reproche : “ Où est ta bonté, quand tu es si loin de nous, sourd ou absent ?”
Alors nous dit le texte, “Réveillé, Jésus menaça le vent et dit à la mer : « Silence, tais-toi ! ».
Réveillé, frères et sœurs, est un des verbes qui dit dans le grec des évangiles, la résurrection, le relèvement au sortir du sommeil de la mort. Jésus, réveillé par le cri de ses amis, peut aussi se lever et commander aux tempêtes de nos vies. Sa puissance opère et est à l'œuvre. Au milieu du chaos de la mer, sa parole “Silence, tais-toi” met par terre les forces de mort. “Que rien ne te trouble” disait celle que l'on appelle “la madre”, la grande sainte Thérèse d'Avila. La paix intérieure et extérieure, la Concorde est un fruit de la résurrection à accueillir et à faire fructifier, dans le souffle de l’Esprit.
Et si la mer s’était déchaîné pour libérer des disciples trop enchainés dans leurs certitudes ? N’était-ce pas pour purifier leurs prières, laver leurs regards, aller plus loin, vers l’autre rive, pour se poser cette question qui termine notre évangile : “mais qui est-il donc, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ?”
Mais qui est-il donc pour moi, aujourd'hui, au milieu des flots déchaînés de la vie et de mon cœur ?