Qu’est-ce qui presse autant Marie pour qu’elle prenne ainsi la route en toute hâte, pour qu’elle quitte sa maison de Nazareth en Galilée et fasse seule ce voyage vers la région plus montagneuse de la Judée ? Juste avant dans l’évangile, l’ange Gabriel lui a annoncé qu’elle allait concevoir et enfanter, par la puissance de l’Esprit Saint, Jésus, le Fils du Très-Haut, le Fils de Dieu. Comme signe que rien n’est impossible à Dieu, l’ange lui a aussi révélé que sa parente plus âgée, Élisabeth, la femme de Zacharie, était enceinte de six mois déjà, alors qu’on l’appelait la femme stérile. Marie a dit oui au projet de Dieu et, à présent, elle n’a qu’un but, elle n’a qu’une hâte, c’est d’aller saluer cette grande cousine ou tante, que peut-être elle n’a encore jamais vue, mais dont elle connait au moins le nom et le lieu d’habitation.
 
Cette salutation, frères et sœurs, cette « visitation » de Marie, enceinte de Jésus, à Élisabeth, enceinte de celui qui sera Jean le Baptiste, cette salutation n’est pas une démarche de politesse formelle ou de simple convenance sociale, car on ne comprendrait pas alors la hâte qui pousse, qui presse la Vierge Marie. Cette salutation, c’est un acte d’amour, de charité au sens le plus fort du terme. Oui, c’est l’amour divin de l’Enfant porté par Marie qui agit en elle, qui la met en route et la conduit jusqu’à Élisabeth. Notre mot français « salutation » et notre verbe « saluer » sont d’ailleurs bien trop froids pour traduire le terme si chaleureux qu’emploie l’évangéliste Luc dans sa langue et qui signifie plutôt embrassement tendre, paroles que l’on dit doucement à l’oreille d’une personne en se jetant dans ses bras.
 
Il y en a un qui ne s’y est pas trompé, c’est le petit d’Élisabeth : c’est lui qui, le premier, répond à la salutation de Marie en bondissant dans le ventre de sa mère. Or les mamans savent très bien interpréter les mouvements que fait leur bébé et qu’elles sentent en elles.
 
Pour Élisabeth, pas de doute, c’est un saut de joie, un bondissement d’allégresse. Mais c’est beaucoup plus encore. Son enfant, qui ne s’appelle pas encore Jean, lui fait comprendre, sans paroles, que s’il a bondi de joie à la salutation de Marie, c’est en raison d’une présence très cachée, mais irradiante, celle d’un autre Enfant, qu’il salue lui aussi et à qui, déjà, il rend témoignage, comme il rendra témoignage à ce même Jésus plus tard, au bord du Jourdain, lorsque l’un et l’autre seront devenus adultes.
 
En étreignant sa jeune cousine Marie, en écoutant la salutation qu’elle murmure à son cœur, en écoutant aussi, dans sa chair, le gigotement de joie de son petit prophète, Élisabeth, remplie d’Esprit Saint, comprend tout, elle saisit d’un coup le mystère de Marie et le mystère de Jésus ; elle perçoit, sans explication théologique, que c’est un seul et unique mystère, le mystère joyeux de l’amour de Dieu qui vient nous visiter, nous sauver, en se faisant petit enfant, porté dans le silence du ventre d’une femme : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni ! D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? »
 
… Jusqu’à moi, jusqu’à vous, jusqu’à chacun de nous, frères et sœurs ! L’exclamation émerveillée d’Élisabeth, c’est aussi bien la nôtre. Car en ce quatrième dimanche de l’Avent, à quelques jours de Noël, c’est à nous que Marie, portant son Fils, vient rendre visite, là où nous sommes, dans notre existence la plus quotidienne, comme elle a rendu visite à Élisabeth dans un village tout ordinaire de Judée, dont l’histoire n’a même pas retenu le nom.
 
Aujourd’hui, en ce « jour du Seigneur », nous ne sommes plus dans la splendeur de Notre-Dame de Paris restaurée, nous ne sommes plus dans les festivités d’Ajaccio avec le Saint-Père, mais ici, à Saint-Laurent-de-la-Plaine, comme de partout où nous vivons, nous pouvons répondre à la salutation affectueuse et douce de Marie, Porte du Ciel, par une autre salutation pleine de tendresse, qui est aussi notre prière, la plus universelle et la plus personnelle, la plus traditionnelle et la plus actuelle :
 
Je vous salue, Marie, pleine de grâce,
le Seigneur est avec vous.
Vous êtes bénie entre toutes les femmes
et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni.
Sainte Marie, Mère de Dieu,
priez pour nous, pauvres pécheurs,
maintenant et à l’heure de notre mort.
Amen.
 

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