Frères et sœurs, est-ce que vous comprenez toujours ce que vous dites ? Vous m’avez bien entendu : ce que vous dites. « Oh, merci pour ce que tu m’as dit l’autre jour, ça m’a beaucoup aidé ! – ah bon ? » Ne vous est-il jamais arrivé qu’un ami vous remercie pour une parole, pour un conseil que vous ne pensez, honnêtement, ne jamais avoir dit ? Parfois, bien sûr, on est mal compris. Mais d’autres fois, on est mieux compris. Comme si celui à qui je m’adressais savais plus clairement que moi-même ce que je voulais dire. Comme s’il allait au bout de ce que je n’osais ou ne pouvais pas vraiment formuler. Non, nous ne comprenons pas toujours ce que nous disons, parce qu’assez souvent, nous disons plus que ce que nous pensions dire. Et c’est bien ainsi. Les autres, alors, nous aident à nous comprendre.
Pas étonnant donc que le Christ dise aujourd’hui à Jacques et à Jean : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. En fait, vous demandez bien plus que vous ne pensez. » Jésus ne les condamne pas. Il leur explique tout ce qui se cache dans leur audacieuse prière. La coupe à boire, le baptême où plonger. Et ce faisant, il reconnaît dans leur requête quelque chose d’une divine facture. Ces deux-là veulent être toujours avec lui, faut-il vraiment les en blâmer ? Non, leur souhait est légitime, inspiré.
Voyez-vous, ce que nous pouvons demander de plus urgent, de plus vital, pour nous, ou pour les autres, vient souvent de plus loin que nous. La prière pure et juste qui jaillit de nos cœurs, ou même, j’ose dire, de nos tripes, qu’elle soit une demande, un remerciement, une supplication… c’est celle aussi qui vient de Dieu. Plus c’est moi qui demande, plus c’est lui qui demande par moi. Des profondeurs de Dieu, la prière vient traverser mon cœur, pour déchirer les Cieux. Comme un cri dont je serais à la fois l’auteur et l’écho. Le cri du Fils qui s’exclame vers Dieu : « Abba, Père ! » Comment ce Père pourrait-il ignorer la voix de son Christ lorsqu’elle résonne si fort dans nos prières ferventes ?
Ce cri a bien des formes. C’est une aspiration qui paraît insensée, comme aujourd’hui pour les fils de Zébédée, comme aussi fut la prière de tant de saint et de sainte : Thérèse de Lisieux voulait être l’amour au cœur de l’Eglise, quelle folie ! Quelle foi ! C’est un souhait qui semble impossible : une réconciliation après des années de brouille, la guérison d’une maladie implacable, et puis, bien sûr, la paix.
« Que vienne la paix Seigneur ! – Vous ne savez pas ce que vous demandez ! » Non, assurément. Du fond de nos entrailles ébranlées par tant de souffrance monte la révolte même de Dieu, éploré par tous ces morts. Nous ne savons pas où nous conduira la prière pour la paix. Quel calice elle nous fera boire, dans quel baptême elle nous plongera.
C’est sa prière, et c’est la mienne. Me voilà intercédant avec Jésus, grand prêtre, auprès de son Père. Quand bien même je prierais pour un autre que moi, quand bien même je demanderais pour le vaste monde, les pays lointains, si cette prière est le fruit de la voix de Dieu surgissant de mon être, alors elle m’emportera telle les flots en furie, pour me plonger pour Dieu dans le combat incessant de celui qui s’est chargé de nos fautes pour les pardonner toutes. La prière, forcément, nous mènera à quelque sacrifice, prolongeant pour ainsi dire l’offrande du Fils à son Père, nous constituant descendants de l’Agneau triomphant, immolé. La prière est dangereuse, car elle nous convertit.
Alors écoutons, frères et sœurs, ce que Dieu a compris de ce que nous lui demandons. Il est cet ami dont nous avons besoin pour savoir ce que nous désirons vraiment, il complète de son Verbe nos paroles fragiles et confond notre orgueil par son humilité. Prie, convertis-toi et sois apôtre !