Je suis ému de célébrer cette fête dans cette église. Devant cet autel, j’ai fait mes premiers pas dans la vie religieuse, je me suis engagé jusqu’à la mort, les mains dans celles de mon supérieur. J’ai célébré ici les funérailles du petit David, quatre ans, mort dans l’incendie d’un camp Rom. J’ai pleuré des frères partis après une vie bien remplie. J’ai baptisé des enfants, j’ai même lancé le compte à rebours pour la chasse aux œufs dans le jardin, à Pâques. Mais toujours je me suis dit : ici, même si je suis haut, je ne suis pas le plus haut. La croix me dépasse de beaucoup. Si ce crucifix pouvait parler, il raconterait la vie la mort qui se sont croisés ici. Il dirait les visages là, devant, vos visages, tour à tour attentifs, réjouis, baignés de larmes ou même absents pendant les mois de pandémie. La croix veille, elle sera là encore, quand je ne serai plus. Parce qu’elle est plantée profond. L’avez-vous vue : elle traverse l’autel de part en part, elle le déchire comme le voile du Temple, de haut en bas, pour ouvrir une brèche.
En faisant visiter cette église, les enfants comprennent. On leur demande à quoi ressemble l’autel, ils vous lancent : « A une table bien sûr ! » C’est vrai, on y fait mémoire du dernier repas de Jésus et de ses amis. Mais à bien regarder, parfois, timidement d’autres finissent par se dire : ce drap blanc plié comme un linceul, cette pierre ouverte comme une grotte… serait-ce donc un tombeau ? Les enfants n’ont pas de mal à comprendre que l’on célèbre ici, chaque jour, la rencontre de la table et de la tombe, le repas et le trépas, la vie et la mort, et sur la nappe ou le linceul, le corps disparu du crucifié, le corps retrouvé du glorifié.
La croix, à sa manière traverse tout cela, sublime trait d’union qui perce et qui unit, et qui pointe toujours plus haut. Regardez ! De là où vous êtes le regard se prolonge derrière la croix, et vient se ficher sur une étrange tapisserie, et sa drôle de couronne. Jésus lié à la colonne, flagellé, couronné. « Vita pro mundi. Ma vie pour le monde ». La croix cache et révèle comme un soleil criblé d’épines. Un roi couronné d’amertume.
Puis le regard des enfants se perd dans l’espace criblé de lumière. Ils disent « Cette église est pleine de vide ! Elle est pleine de silence ! Au cœur du grand espace, la croix semble perdue. » Jésus était bien solitaire au jour d’agonie. Pas de frères pour lui chanter les psaumes, pas de femme pour lui oindre les plaies. Mais nous, là, en bas, qui voudrions qu’il descende. Qu’il se sauve ! qu’il esquive la mort ! qu’il passe la souffrance ! Nous voudrions la table, mais pas la tombe, la vie mais sans la mort. Puisque nous savons qu’il nous ouvre le chemin, nous aimerions bien plutôt qu’il ne passât pas par là. Surtout pas par ce cri : « Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Il nous coûte cet appel, parce qu’on le reconnaît. On l’a entendu mille fois, au cœur des drames qui déferlent sur le monde, on l’a vu crié par les morts de la guerre et ceux de la famine, par les martyrs tués au nom de leur foi et les migrants noyés avant d’avoir vu terre. Et ce cri fut le nôtre près de la tombe d’un gamin de quatre ans, d’un époux parti trop vite, d’un frère tant chéri. Ou simplement un jour où ne voyions de l’église que la tombe, que le vide et que notre prière revenait en écho.
Pourtant... Cette même croix solitaire, douloureuse qui déchire la pierre nous assigne, définitivement, à chacun, notre place. A chaque eucharistie. Elle nous élève en portant nos regards là où Christ en agonie ne peut plus regarder. Puisque c’est vers la terre qu’il incline la tête, c’est vers le ciel que nous tournerons la nôtre. Et tel le centurion voyant dans la couronne le soleil éternel que le ciel voilait, dans les mains transpercées une immortelle étreinte avec l’humanité. Tel le centurion, nous voici, frères et sœurs, à chaque messe. C’est à nous d’être au ciel, puisqu’on l’emmène en terre. C’est à nous de prêter nos voix au Verbe qui se tait : « Vraiment, celui-ci est le Fils de Dieu et j’en suis, moi, le frère. »
En faisant visiter cette église, les enfants comprennent. On leur demande à quoi ressemble l’autel, ils vous lancent : « A une table bien sûr ! » C’est vrai, on y fait mémoire du dernier repas de Jésus et de ses amis. Mais à bien regarder, parfois, timidement d’autres finissent par se dire : ce drap blanc plié comme un linceul, cette pierre ouverte comme une grotte… serait-ce donc un tombeau ? Les enfants n’ont pas de mal à comprendre que l’on célèbre ici, chaque jour, la rencontre de la table et de la tombe, le repas et le trépas, la vie et la mort, et sur la nappe ou le linceul, le corps disparu du crucifié, le corps retrouvé du glorifié.
La croix, à sa manière traverse tout cela, sublime trait d’union qui perce et qui unit, et qui pointe toujours plus haut. Regardez ! De là où vous êtes le regard se prolonge derrière la croix, et vient se ficher sur une étrange tapisserie, et sa drôle de couronne. Jésus lié à la colonne, flagellé, couronné. « Vita pro mundi. Ma vie pour le monde ». La croix cache et révèle comme un soleil criblé d’épines. Un roi couronné d’amertume.
Puis le regard des enfants se perd dans l’espace criblé de lumière. Ils disent « Cette église est pleine de vide ! Elle est pleine de silence ! Au cœur du grand espace, la croix semble perdue. » Jésus était bien solitaire au jour d’agonie. Pas de frères pour lui chanter les psaumes, pas de femme pour lui oindre les plaies. Mais nous, là, en bas, qui voudrions qu’il descende. Qu’il se sauve ! qu’il esquive la mort ! qu’il passe la souffrance ! Nous voudrions la table, mais pas la tombe, la vie mais sans la mort. Puisque nous savons qu’il nous ouvre le chemin, nous aimerions bien plutôt qu’il ne passât pas par là. Surtout pas par ce cri : « Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Il nous coûte cet appel, parce qu’on le reconnaît. On l’a entendu mille fois, au cœur des drames qui déferlent sur le monde, on l’a vu crié par les morts de la guerre et ceux de la famine, par les martyrs tués au nom de leur foi et les migrants noyés avant d’avoir vu terre. Et ce cri fut le nôtre près de la tombe d’un gamin de quatre ans, d’un époux parti trop vite, d’un frère tant chéri. Ou simplement un jour où ne voyions de l’église que la tombe, que le vide et que notre prière revenait en écho.
Pourtant... Cette même croix solitaire, douloureuse qui déchire la pierre nous assigne, définitivement, à chacun, notre place. A chaque eucharistie. Elle nous élève en portant nos regards là où Christ en agonie ne peut plus regarder. Puisque c’est vers la terre qu’il incline la tête, c’est vers le ciel que nous tournerons la nôtre. Et tel le centurion voyant dans la couronne le soleil éternel que le ciel voilait, dans les mains transpercées une immortelle étreinte avec l’humanité. Tel le centurion, nous voici, frères et sœurs, à chaque messe. C’est à nous d’être au ciel, puisqu’on l’emmène en terre. C’est à nous de prêter nos voix au Verbe qui se tait : « Vraiment, celui-ci est le Fils de Dieu et j’en suis, moi, le frère. »