La semaine de prière pour l’unité des chrétiens est ouverte !

Mais de quelle unité parlons-nous ? Quelle sorte d’unité les chrétiens peuvent-ils espérer ? S’agirait-il, comme le font les dirigeants, d’en appeler à l’unité d’un peuple ? S’agirait-il, comme des chefs d’armée, de reconquérir un territoire soi-disant perdu ?

Dans un monde en transition comme le nôtre, marqué par l’incertitude de son devenir, ils sont nombreux aujourd’hui à parler d’unité… On bombarde des pays, on envahit des états au nom de l’unité. On emprisonne et on expulse au nom de l’unité culturelle. On assassine et on viole au nom de l’unité ethnique. Ce sont bien des forces qu’on mobilise pour défendre l’unité de telle ou telle nation. Des tribunes politiques jusqu’aux stades de foot, lorsque, la main sur le cœur, on crie à l’unisson « tous ensemble ! », il s’agit toujours de rassembler contre des adversaires désignés. Cette unité conquérante, portée par la conviction d’avoir pour soi la vérité absolue et le sens de l’histoire, n’est en réalité qu’un repli identitaire nourri de la peur de l’autre. Cette unité-là ne rassemble pas en un même corps, elle nous démembre en différents camps irréconciliables.

Ce n’est pas une unité contre que nous célébrons ce matin, c’est une unité pour – une unité inconditionnellement hospitalière à dimension universelle.

Et la composition littéraire que l’évangéliste Jean imagine autour du personnage de Thomas peut nous aider à mieux comprendre. L’histoire commence par un loupé. Thomas a manqué la première apparition du Christ ressuscité. Il n’était pas là. Au commencement de la communauté des disciples du Christ, les Douze n’étaient pas douze. Pas même onze, puisque Judas manquait aussi à l’appel. Autrement dit, dès l’origine, l’Église est marquée du sceau de la déficience et de la désunion. La pureté originelle de l’unité des disciples n’existe pas, nous dit Jean. La foi chrétienne n’en est pas moins annoncée. Ce petit groupe ecclésial imparfait proclame avec force l’Évangile de Pâques et l’affirme d’une seule voix : « Nous avons vu le Seigneur ». Thomas est leur premier auditeur. Ses compagnons lui disent : Celui qui a été crucifié est vivant. La foi pascale est proclamée, mais elle n’est pas crue. Thomas le dissident refuse de s’en remettre à la parole proclamée par l’Église. Une confession de foi unanime ne suffit pas à convaincre.

Huit jours durant, Thomas va récuser leurs arguments. Et c’est l’Église prise en flagrant délit d’impuissance : l’Église ne peut pas convaincre, elle ne peut pas transmettre la foi. Elle ne peut pas, même unie, faire croire, tout simplement parce qu’elle ne détient pas ce croire. L’Église, nos Églises, ne sont pas des conditions nécessaires à la foi chrétienne parce que nous ne possédons pas ce que nous croyons. L’unité que nous célébrons ce matin ne peut donc pas être une démonstration de force ecclésiale. Ce n’est pas une Église conquérante que Jean nous raconte, c’est une Église qui, dans l’indifférence des uns et le rejet des autres, proclame sans relâche Celui en qui elle place sa confiance. Cette Église-là ne se préoccupe pas de bâtir un modèle d’unité, mais à être, dans ce monde, un lieu de fidélité au Dieu vivant. En proclamant sa foi sans relâche, l’assemblée des disciples ouvre à la présence de Dieu. Notre assemblée ce matin, dans la diversité de ses cultures et de ses confessions, n’a pas d’autre ambition que d’être une occasion donnée à d’autres de croire ce qu’on ne peut pas faire croire.

Thomas pose ses conditions : pour croire, il veut voir et toucher. Notez que Thomas ne refuse pas de croire, il veut croire à sa manière, que son croire au Dieu Vivant soit validé selon les critères du monde. Et Jean de nous mettre en garde : ce n’est pas tant le refus de croire qui nous menace, c’est notre prétention à vouloir imposer à Dieu nos conditions. Or, nous dit Jean, croire sous condition, c’est toujours ne pas croire, c’est se soumettre au monde et aux idoles qu’il se fabrique. Croire sous condition, c’est refuser le don venu d’ailleurs, la parole qui vient à nous et qui n’est pas de nous.

Ce jour-là, Thomas devient un homme de foi. Il voit et il croit. Sans rien toucher, l’existence de Thomas s’ouvre à la transcendance qui se manifeste à lui. Renversé intérieurement, il fait l’expérience, dans sa vie, de la présence de Dieu Vivant : ce ne sont pas les témoignages que nous rendons à Dieu qui font vivre, c’est Dieu lui-même. Thomas le sait désormais pour l’avoir expérimenté en lui : il reconnait son Seigneur et son Dieu. À travers Jésus, Thomas reconnaît le Père. Fils et Père en communion, l’unité du Père et du Fils s’offre au disciple.

L’unité des disciples d’hier et d’aujourd’hui procède du Dieu qui nous est révélé par le Fils, et de sa volonté de nous rendre participants de la vie qu’Il est. L’unité que nous avons à vivre ne tient pas son origine du monde. Elle nous est donnée de l’unité du Père et du Fils, de leur communion parfaite, de cet amour du Père pour le Fils et du Fils pour ses disciples – c’est en aimant de cet amour-là, en vivant de cette communion-là que nous témoignerons ensemble de la présence du Dieu Vivant.

Frères et sœurs, l’unité que nous célébrons ce matin, nous n’avons pas à la construire mais à l’accueillir. Dieu, source de cette unité, s’approche de chacune et de chacun de nous – librement, gracieusement, directement – les portes que nos religions s’évertuent à verrouiller, il les traverse. Lui le premier, s’avance vers nous, il s’engage dans sa Création et en s’engageant, Il nous engage. En communion avec Lui, nous recevrons en don de quoi nourrir nos efforts de dialogues, de rencontres et de reconnaissances mutuelles – donnant à voir la communauté que Dieu appelle à Lui – une communauté nécessairement non identifiable, non limitée, hospitalière, plurielle et universelle, à la taille de l’humanité que Dieu est lui-même venu aimer jusqu’à en mourir.

Frères et sœurs, la semaine de prière pour l’unité des chrétiens est ouverte, réjouissons-nous de l’unité donnée d’en haut, et qu’à la suite de Thomas, nous devenions des hommes et des femmes de foi en proclamant sans relâche, dans ce monde de mort, la présence du Dieu Vivant !

Amen

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