« Pas de nouvelles. Bonne nouvelle » disait-on jadis. De nos jours et depuis l’irruption des portables dans nos relations, vous avez sans doute déjà remarqué que notre rapport au temps s’est quelque peu inversé. En effet, lorsque nous ne parvenons pas ou plus à joindre immédiatement un proche que nous aimons, il arrive souvent que la peur ou la suspicion s’installe. Pas de nouvelles. Mauvaise nouvelle !
Par les images apocalyptiques et de fin des temps qu’il emploie, l’évangile de ce jour n’est pas particulièrement rassurant à première lecture. Il nous invite en réalité à méditer sur le temps qui passe, et nous interroge sur la manière avec laquelle nous vivons celui-ci. L’évangile nous pose effet cette question cruciale : « Crois-tu en l’avenir ? » « Espères-tu vraiment au quotidien ? » « Regardes-tu ton présent avec confiance, sans te réfugier dans un passé dépassé et sans fuir en avant » ?
Pour répondre personnellement à cette question, l’évangile nous propose une clé, aussi simple qu’exigeante. Celle-ci ouvre bien des portes, même lorsque tout semble bouché. Il s’agit de la sagesse de la persévérance.
La persévérance est cette dignité du cœur qui refuse de se résigner face à l’adversité. Elle est cette confiance lucide et tenace, face à la sévérité de la vie. Elle est ce langage qui ne conjugue jamais le futur à l’imparfait, même si notre présent semble décomposé. Si le dicton populaire nous dit que «persévérer dans l’erreur est diabolique», persévérer dans l’espérance, au contraire, nous fait toucher l’essentiel, le divin. Car persévérer, ce n’est pas s’entêter sur un chemin, mais chercher sans cesse des nouvelles pistes, et toujours croire en la patience de Dieu face à nos erreurs et nos errances. Il n’est pas étonnant de lire que Jésus nous met précisément en garde contre ceux et celles qui viendraient offrir une réponse toute faite. Beaucoup de gens, beaucoup viendront et diront : ‘Le moment est tout proche.’ Ne marchez pas derrière eux…
Lorsque l’imprévu quel qu’il soit survient, la clé de la persévérance nous permet d’avancer en confiance, ou de traverser l’échec en silence. En refusant de baisser les bras face à ce qui nous tire vers le bas. Une telle patience nous permet alors de voir les inévitables difficultés de nos relations comme autant de possibilités de maturation, des lieux de nouveaux commencements et de rencontres. Oui, persévérer, c’est fondamentalement garder le courage de vivre. Au jour le jour. Pour un autre que soi…
Quel est donc notre rapport au temps qui passe ?
Sommes-nous fondamentalement tiraillés par de l’impatience, ou de la persévérance ? L’impatience nous fait perdre de notre temps à vouloir le rentabiliser. Pour l’impatient, le temps est toujours compté face à l’inéluctable de la mort, cette seule certitude sur terre qui nous sépare certes aux yeux des hommes, mais nous rassemble en réalité sous le regard aimant de Dieu. L’impatient voit la mort au bout du chemin, et s’angoisse. Mais le persévérant, même s’il se sait mortel, voit la vie et la tendresse de Dieu toujours devant. « C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie. » L’impatient compte le temps. Le persévérant voit le temps qui compte vraiment !
Une telle sagesse nous pousse alors à prendre le temps de le donner par amour. Il s’agit de quitter ce temps que l’on compte —et que l’on décompte— au temps qui compte vraiment : celui de Dieu. Celui qu’on donne. Ce temps aux couleurs d’éternité que nous prenons pour croire plus encore, pour espérer davantage et pour aimer plus intensément… Voilà pourquoi il ne s’agit pas d’être « affairé sans rien faire », comme le dit Saint Paul, mais bien « à travailler dans le calme » pour que le « soleil de justice » fasse irruption et éclaire notre quotidien.
Frères et sœurs,
Notre actualité —qu’elle soit climatique ou politique— nous rappelle tragiquement que notre monde et nos relations sont fragiles, et que nous avons une grande part de responsabilité collective. Mettons alors activement de l’évangile dans notre actualité et ayons le courage de croire à nouveau en l’avenir, sans idéologie. Si le temps qui passe peut nous angoisser, n’est-il pas libérant de croire que la vie est réellement orientée vers une autre réalité ultime que la mort ? Osons croire alors que la clarté que Dieu vient s’inscrire dans le temps de notre cœur, qu’elle donne sens à notre vie, et qu’elle ne passera jamais.
A l’école d’une telle sagesse, notre patience deviendra alors ultimement prière, pour ouvrir chaque matin la porte de l’espérance, et amener plus d’humanité dans notre monde. Et chaque soir, notre patience se fera également prière, pour fermer la porte du désespoir, et confier à Dieu l’irrésolu.
Nous découvrirons alors plus encore en nous-même cette persévérance qui donne vie : cette force que Dieu dans sa tendresse offre à chacun et chacune de nous, et que personne ne pourra jamais nous prendre. Amen.