Frères évêques, évidemment, nous prenons pour nous, en ce dimanche, la parole du Seigneur : « Méfiez-vous des scribes ». Nous savons bien que l’évangéliste ne l’a pas recueillie seulement pour transporter à travers le temps le jugement sévère de Jésus sur les scribes, commentateurs de la Torah, de son temps. Saint Marc a relevé ces mots pour nous, pour tous ceux qui auraient à exercer une autorité dans l’Église, pour tous ceux qui, au long des âges, seraient susceptibles de porter des vêtements d’apparat -et nos chasubles en sont sans doute-, et de se voir proposer des places d’honneur qu’ils courent toujours le risque de finir par considérer comme un droit acquis.

Réunis en assemblée plénière et concluant celle-ci ce matin avec vous, frères et sœurs, nous acceptons de bon cœur que ces paroles du Seigneur s’appliquent à nous au premier chef. Nous le faisons d’autant plus volontiers que le synode qui s’est conclu il y a deux semaines, après un temps de consultation de l’Église entière, un temps d’élaboration par pays et par continent et deux sessions romaines, a mis ou remis au cœur de la vie de l’Église et de ses fonctionnements concrets la synodalité, c’est-à-dire l’écoute commune de ce que Dieu par l’Esprit-Saint veut dire aux Églises. Le pape François, nous ne l’oublions pas, a voulu relancer la synodalité comme remède propre à l’Église contre toute forme de cléricalisme, toute manière pour quiconque a une fonction dans l’Église, mais au premier chef ceux qui sont ordonnés dans le ministère apostolique, de s’approprier sa mission et de la faire servir à sa propre promotion, à son bon vouloir, pire à son propre désir.

Nous nous réunissons ici à Lourdes deux fois par an non pas pour nous entreregarder de manière narcissique comme les membres d’un club sélectif mais pour nous relancer mutuellement dans la mission qui est la nôtre. Tout en sachant que l’avertissement du Seigneur peut nous viser au premier chef, qu’il est en tout cas compris ainsi, nous osons dire qu’il vaut pour tout baptisé. Notre baptême et notre confirmation à tous ne sauraient être des vêtements d’apparat qui nous vaudraient à tous des honneurs et sièges réservés au banquet du Père. Ils sont une robe d’exigence, ils nous convoquent tous à une humilité plus grande. Ils ne font pas de nous des « gens bien » qui auraient un privilège à faire valoir. Baptême et confirmation nous appellent tous à examiner avec lucidité ce que nous donnons de nous-mêmes et ce que nous cherchons à conserver ou à récupérer plus ou moins subtilement.

Aussitôt après l’avertissement donné par Jésus, saint Marc rapporte l’admiration de celui-ci devant le don de la veuve. Jésus la donne en exemple à ses disciples, à nous tous donc, baptisés et confirmés, quel que soit notre état de vie ou notre statut dans l’Église. Nous pouvons comprendre ceci : Jésus ne nous demande pas de donner de grosses sommes pour faire des offrandes à Dieu ; il nous demande de nous donner, tous et toutes, chacune et chacun, tout entier. Il nous appelle à nous risquer nous-mêmes pour la gloire de Dieu et son service. Notons bien qu’il ne méprise pas les dons des riches : leurs dons sont nécessaires pour que le grand bien du Temple puisse exister et fonctionner. Mais les gros dons ne sont pas exemplaires ; est exemplaire celle qui donne « tout ce qu’elle a pour vivre », celle qui met son être à la disposition de Dieu. Dieu, en Jésus, ne s’intéresse ni au statut social, ni à la longueur des prières, ni aux discours ; il a des yeux pour voir ce que chacun et chacune donne de lui-même en vérité. La synodalité, frères et sœurs, si nous continuons à réfléchir à cette thématique, n’est pas d’abord dans le partage des compétences, encore que celui-ci soit utile (il est utile à toutes les organisations humaines quelles qu’elles soient). Le fondement de la synodalité est que tous, de tout état de vie et de tout statut social, nous risquions pour Dieu ce qui nous fait être.

Jésus, lui, a vécu ce don. L’obole qu’il jette dans le trésor du Temple, c’est lui-même, tout lui-même, sans réserve, depuis son être de Fils éternel jusqu’à son corps et sa chair la plus intime. Il n’y a rien qu’il réclame pour lui. C’est pour cela, explique la lettre aux Hébreux, qu’il n’a pas à s’offrir plusieurs fois. Il n’a pas offert quelque chose qui serait tant soit peu à distance de lui. Il s’est offert lui-même et selon une telle totalité qu’il n’y a aucun sens à imaginer une réitération. Il a tout jeté pour nous dans la balance, sans regret, sans compter. En la veuve du Temple, il reconnaît le chemin sur lequel le Père l’attend. C’est parce qu’il y a dans l’humanité de tels dons de soi qu’il vaut la peine qu’il aille jusqu’au bout, et lui vient pour que le moindre geste en ce sens, venu des pécheurs que nous sommes, si incomplet soit-il, puisse valoir pour la vérité de chaque être humain. Lui nous rejoint au fond de nos libertés. Lui nous inclut en lui. Lui, en s’offrant lui-même une seule fois, « enlève les péchés de la multitude ». Le fondement solide de la synodalité n’est pas seulement ce que nous y mettons mais le regard du Seigneur qui voit le fond des cœurs et appelle à lui le don de nous-mêmes que nous pouvons faire.

Frères et sœurs, notre assemblée plénière d’automne s’était ouverte par l’accueil de l’Archevêque majeur des Gréco-Catholiques ukrainiens, Sa Béatitude Sviatoslav Shevchuk. En lui, nous évêques, reconnaissons un frère engagé en première ligne dans la lutte contre le mystère d’iniquité et chargé de fortifier et de conforter ceux et celles qui lui sont confiés. En lui, nous avons admiré ce que nos frères et sœurs d’Ukraine engagent d’eux-mêmes en luttant pour leur liberté, pour le droit à la vérité et à la justice. Nous avons échangé aussi avec des archevêques africains : il s’agissait que nous approfondissions nos relations comme échanges de dons entre Églises sœurs. Nous avons reçu les responsables des mouvements scouts : nous rendons grâce à Dieu pour tant de jeunes qui donnent de leur temps pour les plus jeunes qu’eux et qui se construisent en apprenant à donner d’eux-mêmes. Nous avons travaillé au dispositif à mettre en œuvre pour les personnes victimes d’abus dans l’Église à l’âge adulte. Tous les sujets nous renvoient à notre mission fondamentale : offrir à tous l’exemple et la grâce du Christ Jésus, et le faire collégialement, car ce service ne doit pas être pour chacun une recherche de soi, ni collectivement un privilège de caste, il doit être un apprentissage constant, porté par l’ensemble du peuple de Dieu, du don de soi en vérité, dans la contemplation de Jésus en qui Dieu nous aime jusqu’au bout.

Nous célébrons cette Messe en portant celles et ceux qui souffrent en ce moment de la guerre, de la violence, de la brutalité dont les êtres humains sont capables, en Ukraine, au Soudan, à l’Est de la République démocratique du Congo, au Myamar, en Arménie, en tant et tant d’autres lieux sans doute. Il y a en ce moment beaucoup de veuves et d’orphelins à Sarepta et au Liban, à Gaza et en Israël, en Ukraine et en Russie, en Arménie et au Congo ou au Soudan, et il y a des veufs aussi. L’histoire retient facilement le nom des puissants et des forts ; en célébrant l’Eucharistie de Jésus, nous savons que l’histoire véritable est tissée par l’obole de celles et ceux qui engagent leur vie, le sachant ou ne le sachant pas, et en qui le Christ peut se reconnaître lui-même. Nous supplions pour que tant de douleurs et de souffrances soient retournées en œuvre de justice, de vérité, de respect mutuel, de réconciliation et de paix. Amen !

 

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