« Dieu a tellement aimé le monde… ». Dans la traduction précédente : « Dieu a tant aimé le monde... ». On pourrait s’arrêter là aujourd’hui, et méditer cette seule phrase. Tout y est dit, déjà, ou presque : tout de notre foi et du mystère de Pâques.
Dieu a TANT aimé ; non pas beaucoup, infiniment, énormément, passionnément ; chacun de ces adverbes aurait pourtant du sens. Mais tellement, tant... : Dieu a ‘tant’ aimé !
Il y a dans ce petit mot comme une accumulation, un long et patient effort, un mouvement continu, une croissance aussi... tant et tant, sans se décourager, avec conviction et persévérance. Tellement, tant, à tel point, en si grande quantité. Dieu nous a aimés ainsi !

Il y a cependant aussi dans ce petit mot, je le crois, comme un peu de déception, de lassitude : j’ai tant fait pour toi... et tu n’as pas compris ; j’ai tant fait pour toi... et tu n’as pas vu que je t’aimais, que je me donnais totalement pour toi.

Un peu de déception et de lassitude, oui. N’est-ce pas d’ailleurs un sentiment que nous éprouvons nous-mêmes bien souvent ? On a tant fait, on s’est tant dépensé, on a tant donné, jusqu’au meilleur de soi-même, et on est si peu récompensé, si peu suivi, si peu compris...

Des parents peuvent ressentir cela, après avoir tant fait pour leurs enfants ; des enseignants pour leurs élèves, des étudiants pour leurs examens, des prêtres pour leurs paroissiens, des chrétiens engagés pour leur église... Ils ont, on a tant fait pour que tout aille bien, on n’a cessé d’encourager la bienveillance et l’engagement, on a tant rappelé le sens profond et la beauté des choses... et, devant l’accueil mitigé, la tiédeur de la communion, on est déçu, fatigué...

C’est un sentiment bien humain ; un sentiment qui, disons-le, n’est pas exempt non plus d’une touche d’orgueil ou d’égoïsme : j’ai tant fait pour toi et tu me le rends si mal, je ne mérite pas cela, « moi ».

C’est aussi, selon les évangiles, un sentiment divin. Dieu a tant aimé le monde... et les hommes se sont détournés de lui ; l’évangile de Jean, dès le prologue, raconte cette histoire, notre histoire, et cette « déception » apparente de Dieu. « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas accueilli » : les hommes ont préféré les ténèbres à la vraie lumière, « car tout homme qui fait le mal déteste la lumière, écrit saint Jean, il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne lui soient reprochées ».

Mais l’histoire de Dieu avec nous ne peut en rester là ; l’éventuelle déception et la ‘fatigue’ de Dieu ne sont qu’apparentes. Si, très souvent, dans l’évangile de Jean, Jésus est présenté comme l’envoyé du Père, ici ce n’est pas ce mot qui est utilisé. Dieu n’a pas seulement ‘envoyé’ son fils, mais il a ‘donné’ son Fils ; il a donné la chair de sa chair en quelque sorte, il a donné le cœur de son cœur, il a donné son Fils unique, l’unique trésor de son être de Père tout aimant. Il l’a donné, sans retour ! Vous le savez bien : donner c’est donner, et reprendre c’est voler. Il a tant aimé qu’il s’est donné lui-même, dans le don de son Fils.

Et cela change tout dans l’histoire et la vie des hommes : ainsi, écrit saint Jean, tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle.

Si l’homme n’accueille pas, s’il ne comprend pas – c’est-à-dire s’il ne prend pas avec lui, pour lui, comme lui étant destiné personnellement – s’il n’accueille pas cet amour immense et patient de Dieu... il passe à côté de la vraie vie et prend un chemin de perdition, un chemin où il va se perdre et périr.

Il ne s’agit pas que de grandes phrases et de belles idées ; c’est vraiment notre quotidien qui est ici décrit, frères et sœurs. Si nous n’accueillons pas vraiment cet amour « tant donné » de Dieu, un amour qui se transmet, comme en cascades, par toutes les médiations humaines, alors nous passons à côté de la vraie vie.

Qu’aurons-nous vécu vraiment, pendant ce carême, en famille, en paroisse, en communauté, si nous n’avons pas cherché à accueillir dans notre quotidien, dans nos comportements, cet amour infini de Dieu ? 

Le carême n’est pas fini : il est lumineux, particulièrement en ce jour de Laetere, de joie sereine. Il n’est pas fini : il reste encore tant de jours, tant d’occasions de recevoir et de donner cet amour concret du Seigneur, et, comme lui, de tant aimer. En tant de petites choses… Ou de grandes choses, si vous voulez.

Le poète René de Obaldia en a fait quelques vers très beaux :

Tant de portes à ouvrir, à fermer.  Tant de lits à faire, à défaire.  Tant d'escaliers à monter, à descendre.  Tant de vaisselle à laver, à essuyer.  Tant de linge à blanchir, à noircir.  Tant de poignées de main à distribuer.  Tant de lettres à écrire.  Tant de paroles à prononcer. (…)
Tant de tout et si peu de quelque chose.  Tant de choses et si peu de quelque tout.  Tant et tant, et si peu de si peu, qu'il y a là de quoi décourager le meilleur, de quoi aller planter sa tente dans le désert.  Mais tant et tant de grains de sable...

Oui, tant et tant, comme les grains de sable, comme l’amour de Dieu pour nous, dans nos vies. 
« Dieu a tant aimé » : que ce petit mot rebondisse, de jour en jour, dans nos vies... Amen.

 

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