Mes chers amis,
Dans l’Evangile que nous venons d’entendre, deux éléments sont juxtaposés, qui sont en eux-mêmes difficiles à maintenir ensemble, s’ils se réfèrent aux mêmes sujets. En effet, il est écrit : ” Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes.”. Comment est-il possible que, dans les mêmes personnes, le doute et l’adoration, la reconnaissance effective de la souveraineté divine de Jésus, exprimée par la prosternation, et l’incertitude du cœur coexistent ?
C’est notre propre expérience en tant que croyants qui peut nous aider à comprendre. Combien de fois sommes-nous intellectuellement convaincus de certaines choses, et pourtant nous ne savons pas en tirer les conséquences pour notre vie ! Il n’est pas rare que nous soyons prêts à faire les déclarations les plus émouvantes et les plus sincères d’appartenance au Christ. Mais il est difficile de les mettre en pratique au quotidien. Nous pouvons donc être sûrs, mais aussi, en même temps, hésitants. À cet égard, la question que les Apôtres viennent aujourd’hui poser au Seigneur après les “nombreuses preuves… avec lesquelles il s’est montré vivant pour eux après sa passion… pendant quarante jours” est révélatrice. L’horizon inauguré par la résurrection de Jésus s’est ouvert devant eux. Pourtant, tout en eux reste ancré dans le vieil imaginaire de leurs attentes : “Est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? »
Comme s’il ne s’agissait que de voir un passé restauré, même pas aussi glorieux ! Comme si l’accomplissement de l’œuvre de Dieu consistait simplement en une juste compensation, pour les nombreux torts subis et les épreuves de l’histoire injustement endurées ! Mais nous, les humains, sommes comme ça. Invités à grandir, à mûrir, à atteindre notre pleine stature en Christ, nous nous accrochons à ce qui a été, à ce qui aurait dû être, à ce qui n’est pas encore là. Nous sommes incapables de nous ouvrir à ce que nous n’avons pas encore vécu et de faire confiance. Nous aimerions avoir immédiatement entre les mains la formule permettant de résoudre chaque difficulté. Nous exigeons certains délais, des programmes qui garantissent le maintien ou le rétablissement de nos habitudes. Nous avons du mal à croire que la plénitude de ce que nous vivons est en fait notre lieu d’atterrissage. Mais c’est précisément dans ce sens que s’inscrit la perspective que Jésus indique aux siens, avant son ascension au ciel : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. »
Mais vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » Nous pouvons imaginer les réactions intérieures des apôtres à ces paroles de Jésus : « Toujours en attente ? Toujours suspendue dans le vide sans terme précis ? Et puis toute cette immensité, cette mission universelle à laquelle il faut se préparer… ». Jamais ils n’auraient imaginé l’implication de leur petite vie dans une dynamique aussi vaste : « jusqu’aux extrémités de la terre. »
Nous pouvons imaginer les réactions intérieures des apôtres à ces paroles de Jésus : « Toujours en attente ? Toujours suspendue dans le vide, sans pouvoir compter sur un terme précis ? » Et puis toute cette immensité, cette mission universelle à laquelle il faut se préparer : même « jusqu’aux extrémités de la terre ! » Comment imaginer l’implication de leur petite vie dans un plan aussi vaste ? Comme nous, eux aussi se seraient probablement contentés de beaucoup moins : Une vie normale, avec ses rythmes religieux calmes et garantis, ses propres occupations, des objectifs limités et raisonnables que l’esprit humain est capable de se fixer.
Mais ce n’est pas ce que Jésus a en tête pour les siens, car il est sur le point d’être élevé très haut et d’être soustrait à leur regard dans une nuée. Ce n’est pas cela qu’il nous prépare à chaque instant, assis, avec son humanité glorifiée, à la droite du Père. Nous pouvons en être certains ! Sa prière incessante n’invoque pas seulement pour nous le rétablissement des coutumes que nous avons dû interrompre. La régularité de notre routine religieuse ne Lui suffit pas. Il intercède pour un renouvellement radical de notre façon de vivre notre relation avec Lui ! Notre relation avec Lui ne peut pas rester conditionnée par ce que nos sens corporels peuvent percevoir. Elle doit croître au point que nous ayons accès à la perception intime que nous ne pouvons jamais être séparés de la source vitale de Son amour.
Il est instructif d’être conscient de ce que nous vivons ces dernières semaines. Nous avons traversé une période sans précédent à bien des égards et aussi en raison de notre manière familière et appropriée de manifester publiquement notre foi. Les choses évoluent maintenant lentement. Cependant, nous ne pouvons pas nous contenter de revenir à la simple célébration comme nous le faisions auparavant, comme nous l’avons toujours fait. La souffrance de cette époque sans liturgies publiques ne doit pas être simplement oubliée et annulée dès que possible. Elle doit devenir une puissante incitation à s’ouvrir davantage au mystère que nous célébrons. C’est ce que l’apôtre Paul espère, et pas seulement pour les chrétiens d’Ephèse : que nous recevions un esprit de sagesse et de révélation pour une connaissance plus profonde du Seigneur.
Cela signifie que nos yeux du cœur ne peuvent pas rester fixés uniquement sur des objectifs limités pour être mieux assurés et garantis dans le temps. Ils doivent apprendre à viser l’invisible, à regarder aussi « la gloire sans prix de l’héritage que vous partagez avec les fidèles… la puissance incomparable qu’il déploie pour nous, les croyants : l’énergie, la force et la vigueur »
Ne laissons pas nos désirs s’assombrir sous l’effet de sentiments mesquins. Il ne s’agit pas simplement de reconstituer « le royaume d’Israël », de réaliser un vieux rêve de puissance mondiale. Une fois de plus, nous sommes appelés à nous ouvrir, avec patience et confiance, au don de l’Esprit, par lequel Jésus renouvelle à tout moment notre mission de hérauts de l’Évangile.
Depuis son ascension dans le ciel, Jésus n’est plus saisissable avec les sens de notre corps. L’Eucharistie ne nous est pas donnée pour retourner en arrière, pour Le posséder et Le faire nôtre comme n’importe quelle nourriture. C’est Lui qui nous fait siens pour nous envoyer. Ce n’est pas nous qui garantissons avec ce que nous faisons sa présence ineffable. C’est Lui qui, dans chaque cas et à chaque instant, trouve le moyen de nous la donner : ” Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »
Que cette promesse extraordinaire nous soutienne, nous libère de toutes hésitations et de toutes mesquineries, qu’elle nous ouvre le cœur à l’incommensurable mesure de Son humanité, cette humanité élevée aux cieux, soustraite à nos yeux, mais à laquelle, désormais, nous participons de manière entière dans la gloire infinie et la dignité divine auxquelles nous sommes destinés en Lui.
Références bibliques : Ac 1, 1-11 ; Ps 46 (47), 2-3, 6-7, 8-9 ; Ep 1, 17-23 ; Mt 28, 16-20