Au cœur de cet Évangile, Jésus est confronté à l’enjeu permanent et toujours actuel de notre humanité : nourrir les foules. Comment nourrir la foule des hommes, foules des affamés et des malades ? Regardons faire Jésus. Il voit cette foule qui le suit. Il voit cette faim des hommes. Ils sont au moins 5000, sous ses yeux, et pas de salaire suffisant pour les nourrir ! Comment faire ? Jésus, d’abord, ne ferme pas les yeux. Il ne panique pas. Il ne s’en va pas : c’est après les avoir nourris qu’il partira, seul, dans la montagne, de peur qu’ils ne fassent de lui le héros humain qu’il ne veut pas être.
Ne pas voir les affamés. La tentation est souvent, d’en faire des êtres invisibles et transparents. Nous pensons peut-être qu’ils sont comme Dieu : ils existent, mais au loin et invisibles. Nous en parlons parfois, mais sans vraiment les prendre en compte. Et Jésus nous dit ce matin : de fait, ils sont comme Dieu, c’est-à-dire tout proches, discrets certes, mais présents près de nous. Pour Jésus, ils ne sont pas transparents. Ils sont dignes de respect et d’attention, et il n’est pas question d’aller plus loin tant qu’ils n’ont pas été nourris.
Dès lors, comment s’y prend Jésus ? Observons-le encore : d’une part, avant d’agir, partant du concret, il écoute et dialogue : ici avec ses amis Philippe et Pierre. Et puis, il choisit, non pas de puissants moyens, mais les cinq pains d’orge et les deux poissons d’un jeune garçon. Dialoguer avec d’autres pour trouver une solution, s’appuyer sur des moyens simples pour réaliser l’impossible, cela ne serait-il pas à notre portée ?
En effet, qu’avons-nous dans les mains pour apaiser nos frères ? Autant que ce jeune garçon, sans doute, et peut-être plus ! Un peu de temps, un peu d’argent, un peu d’amitié, un talent, une compétence, ou le don de la prière. Presque rien, peut-être. Mais n’est-ce pas ce dont Dieu veut se servir ? Ne veut-il pas, plus que des démonstrations de force et de puissance, qu’ensemble, nous rassemblions le peu que nous avons, pour apprendre à dépendre davantage les uns des autres.
Puisque nous sommes sur une île, ce dimanche, rappelons-nous à quel point les îles et leurs habitants vivent chaque jour en ayant besoin des autres : besoin du bateau ou de l’avion qui relie au continent, besoin du médecin ou d’une école, même petite, besoin de la confiance et de la discrétion des autres, pour tenir bon, tout simplement, sous le soleil de l’été ou les tempêtes de l’hiver. Supportez-vous les uns les autres, dit saint Paul, c’est-à-dire, soyez un support les uns pour les autres, pour que chacun puisse tenir debout. Soyez supporters les uns des autres, en particulier de ceux qui peinent le plus dans les épreuves de la vie. Et Paul ajoute : « Faites-le avec humilité, douceur et patience, en gardant le lien de la paix. »
Jésus, ainsi, avec un peu de pain, nous redonne force. Mais il va plus loin : il donne aussi son propre Corps, en sacrifice d’amour. Et ce matin encore, il est pour nous, ce Pain du ciel, ce sacrement de l’autel. En le recevant, nous devenons ce corps. L’eucharistie fait de nous cette unique famille dans laquelle les uns sont liés aux autres, dans l’amour. Alors, que rien de cet amour, ne soit perdu. Amen.
Références bibliques : 2 R 4, 42-44 ; Ps. 144 ; Ep. 4, 1-6 ; Jn 6, 1-15
Référence des chants :