Frères et sœurs, l’Évangile de ce dimanche nous invite à retrouver Jésus dans ce qu’on pourrait appeler son premier voyage missionnaire. Nous sommes encore au début de sa vie publique et voici qu’il vient de quitter Capharnaüm, où il avait déjà accompli de nombreux miracles. « Allons ailleurs, dans les bourgs voisins, – avait-il dit à ses disciples, – pour que j’y proclame aussi l’Évangile. » Et si ce « ailleurs » était ici et aujourd’hui, dans cette église, située au cœur du quartier européen de Bruxelles, et dans cette façon de vous rejoindre par la télévision !
Et voici qu’une des étapes le conduit à la rencontre du lépreux. Nous voici d’emblée au pays de la transgression, au nom de l’Amour et de la guérison. Dans la société du temps de Jésus, en effet, tout était organisé, et jusqu’à la loi religieuse elle-même, pour que cette rencontre ne puisse pas avoir lieu. Le lépreux était mis au banc de la société. La contagion possible faisait de ce malade un exclu et un intouchable. Mais l’inattendu et le défendu se produisent : le Christ ne refuse pas de lui parler, ni même de le toucher, ni surtout de le guérir ! « Il fut purifié », dit l’Évangile.
Je voudrais nous inviter à relire l’Évangile dans l’actualité de notre temps, de notre société et, peut-être, plus particulièrement dans l’actualité de l’Europe en crise et en attente d’un nouvel élan. Sans doute la lèpre n’est-elle pas totalement éradiquée de notre terre et ce ne sont pas nos téléspectateurs en Afrique qui me démentiront. Le combat du saint Père Damien, un saint belge parmi les personnalités les plus populaires du pays, garde, hélas, toute son actualité. Mais il y a aussi toutes nos lèpres morales et spirituelles qui rongent le cœur et qui défigurent nos esprits. Ici, les « lépreux » sont autant du côté de ceux qui excluent que du côté des exclus. En fait, il s’agit de tout le monde de l’exclusion qui est certainement une des plaies les plus béantes de notre société et qui risque, qui veut, nous enfermer dans le moule de nos conformismes les plus étroits parce que les plus égoïstes, mais aussi de nos à priori les plus tenaces parce que les plus fragiles.
Concrètement, je voudrais éviter de tomber dans le piège des classifications trop souvent simplistes et qui ne sont que la caricature de la réalité. Je voudrais surtout , et je crois à la façon de l’Évangile, rejoindre chacun dans sa lèpre, c’est à dire dans tout ce qui vient briser les relations en défigurant la beauté de ce qui fait notre dignité humaine, dans ce qu’elle a de plus beau et de plus vrai.
Notre prière et nos pensées, mais aussi et dans le même temps, nos engagements, nous rendent aujourd’hui solidaires de tous les exclus, de tous les marginalisés et de tous les plus fragilisés dans un monde qui, trop souvent, juge sans comprendre, condamne sans rencontrer et enferme sans rien ouvrir comme perspective d’avenir. Quelle société voulons-nous bâtir ? Quel monde voulons-nous donner en héritage aux générations futures ? Dans quel visage d’Église voulons-nous nous reconnaître ? Entrons, si vous le voulez, dans la personnalité de ce lépreux guéri par le Christ. Avec lui, nous nous tournons vers le Christ en lui disant simplement : « Seigneur, aie pitié de moi et guéris-moi. » Il faut en effet l’humilité, et non pas l’humiliation, de celui qui sait que la guérison, au sens de la libération, est un don, même si elle est aussi un grand combat intérieur, pour que Dieu puisse faire son œuvre. Et c’est alors que nous réentendrons la Parole du Christ : « Je le veux, sois purifié ! » – « Heureux les cœurs purs, – dit par ailleurs l’Évangile, – ils verront Dieu. » Qu’est-ce qu’être purifié ? On n’a pas rendu service à la pureté en l’enfermant dans une compréhension uniquement sexuelle, car, qu’est-ce que la pureté sinon une façon de vivre dans l’unique transparence de l’Amour. C’est l’Amour qui libère. C’est l’Amour qui guérit.
Quand on relit l’Histoire de l’humanité, cet appel inconditionnel à aimer peut, peut-être, paraître naïf. L’illusion serait-elle au rendez-vous de ceux qui osent croire à la victoire de l’Amour ? L’Évangile serait-il l’ultime consolation pour ceux qui n’oseraient pas affronter la dure réalité d’un monde qui semble miser plus sur la violence que sur la tendresse ? Je ne le crois pas, évidemment !
Dans la lumière de l’Évangile de ce dimanche qui redit que personne, aussi lépreux soit-il, n’est et ne restera enfermé dans l’exclusion et la solitude, je crois que l’urgence est à une redécouverte du christianisme. En Jésus Christ, Dieu a rendez-vous avec notre humanité dans une rencontre qui est une Alliance et, jamais, une concurrence. Dieu n’est pas le rival de l’homme, mais son partenaire et son Sauveur.
L’Évangile relatant la guérison du lépreux nous ouvre une perspective d’avenir sans limite, un horizon où l’homme n’est plus un prisonnier mais un libéré. La vie et l’amour s’écrivent alors, avec toutes les couleurs de la tendresse, de la liberté, de la joie, de la justice, de la paix, de la confiance et du pardon. Ce sont les sept couleurs de l’arc-en-ciel qui dessinent l’Alliance entre Dieu et l’homme, entre Dieu et l’humanité.
Ils sont nombreux, vous savez, les lépreux guéris par Jésus. Ils sont dans cette église ou devant leur télévision. C’est vous, c’est moi, si nous le voulons, devenus comme le lépreux de l’Évangile les témoins, debout parce que relevés, d’un monde nouveau. Et cette Bonne Nouvelle est contagieuse, beaucoup plus que les lèpres de nos exclusions. « Je le veux, – dit Jésus, – sois purifié », vis dans la transparence de l’Amour et tu seras, toi et tes frères et sœurs, Heureux ! Amen.
Références bibliques : Lv 13, 1-2.45-46 ; Ps. 101 ; 1 Co 10, 31-11, 1 ; Mc 1, 40-45
Référence des chants :