Le souvenir que je garde, de mon enfance, quand je venais avec mes parents et ma sœur, ici, dans cette basilique, est la couleur bleue qui l’inonde. Une couleur, comme celle d’un matin d’été, rempli de promesses joyeuses. Une couleur bleue, vive et vivante, comme un petit bout de Ciel sur la terre. Et c’est toujours un peu ça, un lieu d’apparition de la Vierge Marie, de Lourdes à Pontmain ou de Banneux en Belgique à Fatima. Un petit bout de Ciel qui traverse la nuit sombre et les lourds nuages comme un signe pour espérer, au-delà des intempéries et des bourrasques, des épidémies et des conflits fratricides.
Dans la nuit froide il y a 150 ans de cette bourgade de Mayenne apeurée par la guerre qui approche, comme dans la nuit de notre page d’évangile où la barque est « battue par les vagues, car le vent était contraire. », comme dans la nuit de nos existences parfois écrasées par le désespoir, au cœur de toutes ces nuits, comment est-il possible de scruter le Ciel qui se révèle, et d’entendre la parole de Jésus « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! » ?
Des esprits étroits pourraient nous dire qu’une poignée d’enfants qui voient la Vierge ou deux hommes qui marchent sur l’eau, ce sont des histoires …, allez, à dormir debout ! Eh bien j’oserai vous dire, moi qui n’ai pourtant jamais vu la Vierge, que des femmes, des hommes qui marchent sur l’eau, on en rencontre souvent. J’oserai vous parler de tous ces êtres, humbles et fragiles, souvent enfoncées dans le tumulte de leur vie brisée, buvant la tasse plus qu’à leur tour, et capables pourtant chaque matin de remettre leur vie à Jésus en lui criant « sauve-moi ! ». On les voit, – souvent cachés -, ces saints du quotidien, accrochés à Jésus. On les voit rassembler leur courage pour se lever chaque matin, mettre un pied devant l’autre, tendre une main et puis l’autre pour servir leurs prochains. Cette réalité-là, est plus vraie que bien des observations froides sur une société qui s’enfonce. Cette réalité-là est l’application de la Bonne Nouvelle au quotidien, dans le silence de nos habitations, ou de nos lieux de vie. Cette réalité-là est la vraie vie car elle est celle du royaume des Cieux, déjà au milieu de nous.
Et nous, n’avons-nous pas été, à un moment particulier de notre vie, une fois, deux fois, trente fois, l’apôtre Pierre, qui ose crier : « sauve-moi! » ? Nous devons avouer que nous mesurons souvent très mal la réponse. On voudrait tant que celle-ci soit nette, précise, forte. On aimerait, comme Élie dans sa caverne à l’issue de la nuit – c’était notre première lecture de ce jour – , voir Dieu dans le surnaturel, avec la force sonore du tonnerre, la grandiloquence du tremblement de terre et la puissance fascinante du feu ? Dieu aurait pu y être, certes, mais il n’y fut pas. Il a préféré montrer sa présence dans le fin « murmure d’une brise légère ». Autant dire que l’on peut passer à côté de Lui sans rien voir ni entendre, si nous ne sommes pas attentifs à ce qui, en nous, bougent discrètement, délicatement, silencieusement.
Le message ici de la Vierge, à la robe bleue parsemée d’étoiles, – parce que c’est dans le silence de la nuit que l’on contemple les étoiles – peut nous guider : « mais, priez, mes enfants ». Parce que, dans le silence, invisiblement la prière est le plus puissant lien qui nous unit à tous. Elle nous soulève lentement au-dessus du tumulte des eaux, elle travaille secrètement notre cœur pour lui donner la paix et elle nous fait indiciblement relever la tête. Alors, dans un même mouvement, nos mains levées vers le Ciel seront aussi celles qui s’offriront à ceux qui les cherchent pour se relever. Notre cœur confiant en Dieu sera celui que redonnera confiance à celui qui s’enfonce et qui nous réclame notre présence.
Du studio du confinement où la statue de la Vierge d’ici chaque dimanche était présente à cette messe d’aujourd’hui, Marie, priée ici sous le vocable de Notre-Dame de l’espérance, nous laisse ces mots comme une brise légère : « Mais priez, mes enfants, mon Fils se laisse toucher »