Chers amis,
Lorsque Jésus affirme "Je suis le bon Pasteur, Le vrai berger", il parle à des juifs qui connaissent bien le Psaume 23 que nous avons chanté tout à l’heure "Le Seigneur est mon Berger" et aussi le prophète Ézéchiel (34, 11-12) qui mettait en cause sans ménagement les mauvais bergers du Peuple d’Israël au point que le Seigneur déclare par sa bouche : "Ainsi parle le Seigneur Yahvé : Voici que j’aurai soin moi-même de mon troupeau et je m’en occuperai. Comme un pasteur s’occupe de son troupeau, quand il est au milieu de ses brebis éparpillées, je m’occuperai de mes brebis. Je les retirerai de tous les lieux où elles furent dispersées, au jour de nuées et de ténèbres". A mots à peine couverts, Jésus fait comprendre qui il est, puisqu’il applique à lui même cette manière divine de prendre soin de son peuple, l’Israël nouveau. Il est venu pour cela et la mission que lui a confiée son Père consiste précisément à rassembler ses brebis, les enfants de Dieu dispersés.
Si la personne de Saint Pierre Chanel, premier martyr de notre région du Pacifique est cher au coeur des océaniens, c’est d’abord parce que sa vie est, – encore plus clairement que d’autres, – configurée à la vie du Christ, bon Pasteur, capable de donner sa vie pour ses brebis. En effet, Pierre Chanel est né le 12 juillet 1803 à Cuet près de Bourg en Bresse, – et nous célébrerons dans trois mois ce deux centième anniversaire sur place avec le diocèse de Belley-Ars -. Après les années sombres de la révolution française, nous devons situer Pierre Chanel dans le vigoureux mouvement de renaissance religieuse de ce 19ème siècle tant décrié par ailleurs. La dimension missionnaire est essentielle dans cette renaissance et elle en atteste l’authenticité selon l’Esprit. Pensons à d’autres personnalités de cette époque, un Jean Marie Vianney, curé d’Ars, qui sera proclamé patron des prêtres diocésains, à une Pauline Jaricot, simple laïque passionnée d’action missionnaire, à cette floraison de congrégations religieuses fondées, en quelques dizaines d’années seulement, en France.
Ordonné prêtre à Brou, le 15 juillet 1827 au titre du diocèse de Belley, Pierre Chanel se consacre au ministère paroissiale et particulièrement à l’éducation de la jeunesse. Il fait aussi parti d’un groupe de jeunes prêtres et séminaristes auxquels s’adjoindront rapidement des laïcs, hommes et femmes, qui vont constituer la Société de Marie, une famille spirituelle nouvelle, à l’origine de plusieurs congrégations religieuses : pères, frères et soeurs maristes. Ils trouvent leur inspiration fondamentale dans la contemplation de Marie, toujours présente à la croissance de l’Église comme elle le fut au milieu des Apôtres au cénacle avant qu’ils ne soient illuminés par l’Esprit au jour de la Pentecôte (Ac. 1, 12).
Sitôt obtenue son approbation comme congrégation religieuse par le Pape Grégoire XVI, la Société de Marie, met les missions d’Océanie sous la protection de Notre Dame à Fourvière le 15 octobre 1836. Elle constitue le premier groupe de huit jeunes missionnaires maristes, au nombre desquels le Père Pierre Chanel, conduits par Jean-Baptiste Pompallier, prêtre lyonnais de 35 ans tout juste sacré à Rome évêque, avec le titre de Vicaire Apostolique d’Océanie Occidentale. Ils embarquent au Havre sur un voilier de commerce, cap-hornier, à la veille de Noël 1836, pour Valparaiso du Chili. Arrivés fin juin 1837 à Valparaiso, ils trouvent un nouvel embarquement pour Tahiti sur un baleinier américain, autre navire à voile encore moins confortable que le précédent, afin de traverser le Pacifique Sud, un nouvel Océan encore plus vaste et redoutable que l’Atlantique. Arrivé à Tahiti, le 21 septembre 1837, le groupe missionnaire doit alors négocier son passage sur une goélette, la " Raiatea ".
Enfin le 23 octobre 1837, ils sont en vue des rivages de l’immense territoire de mission qui leur a été assigné, le Vicariat Apostolique de l’Océanie Occidentale. Ils abordent aux Iles Tonga, mais il n’est pas possible d’établir ici une mission catholique. C’est seulement le 1er novembre 1837 que les missionnaires peuvent commencer une première installation, sur l’île de Wallis, confiée à la direction du Père Bataillon, le 12 novembre la deuxième installation, sur l’île de Futuna à deux ou trois jours de mer de Wallis, est confiée à la direction du Père Chanel et l’évêque continue avec le reste du petit groupe pour Sydney en Australie puis la Nouvelle Zélande, où il commencera lui-même sans tarder la mission auprès de la population maorie qui, aujourd’hui encore, ne l’a pas oublié.
Mais revenons à Futuna et à son Pasteur : le Père Chanel et le frère Marie Nizier, munis de quelques bagages, sont installés en trois jours sur le rivage d’une île peu connue, sans grandes ressources ni communications autres que les passages de navires, de loin en loin, au milieu d’une population dont ils ne connaissent pas même la langue? Par où commencer, dans ces conditions ? Le pasteur ne commence pas par faire des discours, il faut d’abord que lui-même puisse subsister et faire connaissance avec le troupeau qui lui a été confié alors qu’il le porte déjà depuis longtemps dans sa prière. Contrairement à des idées toutes faites, la première expérience de ce missionnaire n’est pas celle du succès de la parole qui s’impose, de la puissance d’un savoir faire ou d’une richesse localement inconnue, de la conscience d’une quelconque supériorité? Non, l’expérience de Chanel est plutôt celle de sa propre pauvreté, de son ignorance et même de son infériorité jusque dans les détails de la vie matérielle où il lui faut se faire à un environnement inhabituel.
Il est alors reconnu par ceux dont il partage la vie, non pas comme l’un d’eux, c’est bien trop tôt pour cela, mais comme une personne qui témoigne de quelque chose qui, paradoxalement, atteint les coeurs avant d’être exprimé par des mots. Avant de partager la foi chrétienne, en le voyant seulement vivre au milieu d’eux, bien maladroit encore pour manier leur langage, les Futuniens vont déjà désigner Pierre Chanel par cette expression révélatrice " l’homme au grand coeur ". A la suite du Christ Jésus, son témoignage ne laisse pas indifférent, " la Parole " est annoncée, non en discours, mais en acte véritablement.
Le seul fait de vivre jusqu’au bout " la Parole " qu’il annonce va conduire le Père Chanel à la mort. En effet, il avait toujours refusé d’entrer dans les querelles partisanes que les futuniens entretenaient entre eux jusqu’à se faire la guerre, car il considérait que tous faisaient parti de ce même troupeau qui lui était confié. Et le 28 avril 1841, son protecteur attitré, le roi Niuliki, le fait exécuter par son homme de main, Musumusu. Béatifié comme martyr dès 1889, puis canonisé en juin 1954, Pierre Chanel est maintenant " Saint-patron de l’Océanie ". Le Pape Jean Paul II dans sa récente lettre " Ecclesia in Oceania " (l’Église en Océanie) voit dans son témoignage lumineux une source d’espérance pour toutes les vocations chrétiennes et l’avenir de l’évangélisation. Sûrement, comme aujourd’hui les chrétiens d’Océanie, Pierre Chanel aurait faite sienne la prière à Marie qui termine ce beau document pastoral :
Notre Dame de la Paix, ? Intercède pour l’Église [en Océanie] afin qu’elle reçoive la force de suivre fidèlement le chemin de Jésus Christ, de proclamer courageusement la vérité de Jésus Christ, de vivre joyeusement la vie de Jésus Christ.
Ô Secours des chrétiens, protège-nous!
Brillante Étoile de la mer, guide-nous !
Notre Dame de la Paix, prie pour nous! Amen.
Références bibliques :
Référence des chants :