L’histoire humaine, c’est le temps de "l’absence du maître" : l’humanité est mise à l’épreuve, comme ces serviteurs à qui le maître a confié de grosses responsabilités. En effet, notre vie se déroule comme si Dieu était absent laissant aux hommes toute initiative. Quelle confiance il nous fait, quel respect de notre liberté, quels risques il accepte de prendre ! Au temps de Jésus, un lingot d’or, appelé aussi un «talent» était l’équivalent du salaire de six mille journées de travail ! Cela souligne la confiance faite par le Maître à ses serviteurs : "il leur confie ses biens". Il s’agit donc de gérer des biens qui ne nous appartiennent pas, ce sont ceux du Maître, c’est-à-dire de Dieu. Ainsi le sens profond de la parabole ne concerne pas le bon usage de nos "dons personnels". Il s’agit surtout de notre coopération active pour la construction du Royaume de Dieu, le Royaume d’Amour !
La parabole souligne aussi la conduite "insensée" du dernier serviteur qui par crainte de son maître, avec la peur au ventre, va enfouir son talent dans la terre. Voilà pour Jésus le pire des péchés : dénaturer l’image de Dieu le considérer comme un tyran inaccessible et dangereux ! La relation avec Dieu est faussée quand on se méfie de lui. C’était déjà la grande tentation d’Adam et Ève, dans le récit symbolique de la Genèse, suggérée par le serpent : "J’ai eu peur de toi, alors je me suis caché !" Considérer Dieu comme un concurrent redoutable, jaloux du bonheur de l’homme !
"J’ai peur" : voilà bien le drame de ce "mauvais serviteur", le drame de nombreuses existences aujourd’hui. On sait bien que la peur paralyse, hypnotise. Combien de gens – et nous-mêmes parfois – nourrissent des craintes, des peurs, des angoisses qui les empêchent de vivre, d’aimer. Et d’être heureux. Nos ancêtres les Gaulois avaient peur, paraît-il "que le ciel leur tombe sur la tête". Aujourd’hui, on a peur du gendarme, peur des cambrioleurs, peur des accidents, peur de la maladie, des étrangers, du chômage On a peur également des gens différents de nous, des handicapés parfois : les sourds en font l’expérience lorsque des entendants n’osent pas leur parler ; ces derniers sont comme "paralysés"
Alors, pour conjurer cette peur on invente et on construit des clôtures et des alarmes, on se replie sur soi, on devient xénophobe et raciste, on perfectionne des armements et on fait la guerre., On privatise, on "enterre son talent" et on oublie d’aimer !
Le tableau peut paraître sombre comme la colère du Maître de notre parabole : "Serviteur mauvais et paresseux ! Jetez ce bon à rien dehors dans les ténèbres ; là il y aura des pleurs et des grincements de dents".
La foi chrétienne, c’est l’amour qui libère de la peur, l’amour qui se risque à la suite de Jésus Lui-même qui a donné sa vie pour ses frères. Enfouir les "talents", c’est avoir l’obsession de la sécurité et éviter tout risque. Être disciple de Jésus c’est faire fructifier le Royaume confié. Celui qui ne pense qu’à se protéger, qu’à garder ce qu’il a reçu le rend stérile, inutile, et il a déjà tout perdu dit Jésus : "Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui en a dix".
Nous voilà donc bien loin d’une simple morale du "rendement personnel". En retournant vers son Père Jésus nous a confié la responsabilité et la gestion du Royaume de Dieu, Royaume d’Amour pour tous. Je repense au chant du regretté John Littleton : "En quittant cette terre, je vous avais dit : « Aimez-vous comme des frères », m’avez-vous obéi ?"
Références bibliques :
Référence des chants :