Avait-il quitté la maison de son père à pied, avec un âne ou peut-être même monté sur un cheval? La parabole ne nous dit rien là-dessus. Mais, pour son retour, nul doute que c’est à pied que le jeune homme, enfant prodigue, revint, vidé de tous ses biens vers son père. À pied, depuis les terres boueuses où il traînait au milieu des porcs, jusqu’à la colline où, de loin, son père le reconnut. À pied, à travers la poussière des déserts et la rudesse des montagnes, sous l’âpreté du soleil, la folie des vents et la pluie diluvienne.
À pied. Pour se réapproprier, son histoire, renaître à la vie, par les pieds.
Parce que la marche, c’est le rythme de l’homme.
« Je dirai à mon père, je ne suis pas digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers. »
Peut-être que dans sa marche,le jeune homme a eu le temps de ruminer en long, en large et en travers, les égarements de sa vie et d’en avoir des scrupules. Le scrupule, dans la langue latine, le scrupulum, c’est le petit caillou. Celui qui, vous le savez, se glisse dans la sandale ou la chaussure, et vous empêche de continuer la route. Et bien, dans la vie, c’est pareil! Dieu sait que les scrupules nous ralentissent et coupent le désir d’avancer. Sur le chemin de Saint-Jacques, les scrupules peuvent remonter de la surface de la semelle jusqu’au cœur, « Et si ton cœur te condamne, Dieu est plus grand que ton cœur » (1Jn3,20)
« Je dirai à mon père, je ne suis pas digne d’être appelé ton fils. » Mais peut-être aussi que ce jugement très dur que le fils porte sur lui-même et que d’un revers des mains le Père effacera, est-il le début du début de son relèvement. Relever la tête pour ne plus voir la boue qui colle aux pieds et nous pétrifie mais plutôt entrevoir le chemin, même étroit, d’une possible vie enfin plus libre, plus vivante, plus humaine. « Ultreia » chante le pèlerin sur le chemin de Compostelle : « plus loin, plus haut ! » Avec le fils prodigue, nous avons à oser l’aventure du chemin, pas à pas, lentement, avec des ampoules aux pieds éventuellement, pour découvri à la fois qui nous sommes profondément – non l’un des ouvriers anonymes, mais chacun l’enfant bien aimé – et qui est notre Dieu, – non un juge sévère mais le Père de miséricorde, aux entrailles saisies de compassion.
Je sais, chers amis téléspectateurs, que certains parmi vous ne peuvent plus marcher. Mais je crois profondément que chaque mot balbutié et chaque soupir de votre prière est aussi un pas vers le bon Dieu. « ô mon Dieu, renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit » Quand notre corps ne répond plus, l’Esprit de Jésus trace en nous, mystérieusement, un chemin de croix. Car sur ce chemin emprunté par l’enfant prodigue, nous avons encore une étape à vivre. Découvrir que lui, le fils prodigue peut en cacher un autre ! Non pas, le frère aîné de la parabole, qui, dans une salle de la maison, tourne en rond, fait les 100 pas, la nuque raide, miné par une jalousie, que l’on pourrait pourtant trouver légitime. Mais le fils prodigue cache l’autre fils, le seul Fils unique du Père, lui, Jésus, lui qui nous livre cette parabole . Il est déjà en marche, à pied, vers Jérusalem, (Luc 14,25) Il s’est aussi vidé, prodigue en miséricorde, aimant jusqu’au bout. Il aimait faire asseoir ses amis publicains et pêcheurs à sa table. « Retourner à lui, c’est renaître; habiter en lui, c’est vivre » nous dit saint Augustin. Et entendons ce cri de joie du Père : « Mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie; il était perdu et il est retrouvé! » Au matin de Pâques, Jésus, relevé de la mort, est sorti de la boue de la terre. On le croit perdu. Et il est vivant, dans la maison du Père. Éternellement. Alors, comme dans la parabole, il nous faut festoyer et se réjouir. Heureux les invités au repas du Seigneur !
Références bibliques : Ex 32, 7-11.13-14 ; Ps 50 ; 1 Tm 1, 12-17 ; Lc 15, 1-32