« Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles, il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides » : ce sont les paroles les plus fortes du Magnificat, que nous venons d’entendre. Par ces mots, Marie proclame la présence de Dieu dans l’histoire humaine : sa petite histoire de femme, mais aussi l’histoire de son peuple, de son temps, de son passé et de son avenir, qui est formé par toutes les générations du monde.
Nous aussi, à travers cette messe télévisée, nous essayons d’annoncer cette présence divine concrète, en associant les mots de Marie aux images et à la musique. Il s’agit d’une tentative nouvelle, rendue possible par la technologie, mais si on réfléchit bien, on se rend compte qu’il s’agit d’un exercice profondément traditionnel, parce que ce cantique de Marie est né comme de la poésie et la poésie est un texte qui sort de lui-même, et se projette vers nous avec force ! Le Magnificat lui aussi a toujours jailli vers l’extérieur du livre et est devenu d’abord chant et musique, et ensuite a inspiré la peinture, les images et même le « Sacro Monte » ici, à Locarno. Aujourd’hui, nous avons osé présenter le Magnificat avec les images d’actualité, avec les visages et les personnes dans lesquels nous reconnaissons quelque chose de la réalité de Dieu dans l’histoire.
Sur les images qui ont illustré notre Magnificat, c’est avant tout l’histoire de gens simples, qui ont rendu grâce à Dieu par de beaux ex-votos de la tradition populaire. Mais nous avons aussi inséré des scènes « politiques », comme la chute du mur de Berlin. Il y avait également des figures humbles et fortes de notre temps, comme Mère Teresa, le pape Jean, l’Abbé Pierre, et même des figures extérieures à la tradition chrétienne, comme la militante pacifique birmane Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix en 1991.
Il n’est pas question de canoniser quelqu’un, mais de permettre au Magnificat de faire son œuvre aujourd’hui, qui est de déborder du texte écrit et de nous montrer, aujourd’hui, les « grandes choses » pour lesquelles magnifier Dieu, les réalités humaines que Dieu « assume », aujourd’hui, au « ciel ».
Peut-être vous demandez vous pourquoi j’utilise des mots qui reprennent le langage mariale de l’Assomption, pour parler de chacun de nous… Quels sont les points communs entre Marie et Aung San Suu Kyi, avec le mur de Berlin, avec les défis de notre temps ? Se demander cela, cependant, révèle toute la pauvreté de notre dévotion à Marie ! Nous avons réduit la Vierge à une « machine à mercis », alors que Dieu nous l’a donnée comme symbole du monde sauvé. Un monde qui cherche et chante les grandes œuvres de Dieu en tout temps et partout ! Marie est plus que Marie, parce que Marie c’est nous et nous sommes Marie. C’est pour cette raison que le concile Vatican II l’a proclamée « Mère de l’Église » et que le pape Paul VI l’appelait « notre sœur ».
Marie est la femme de l’Apocalypse. Marie fait partie de ces « tous » qui recevront la vie dans le Christ, comme nous l’avons entendu chez saint Paul. Mais depuis que Marie c’est nous, la femme de l’Apocalypse nous révèle aussi notre identité ! Marie est la femme revêtue du soleil, car en nous brille le soleil du matin de Pâques ! C’est la femme qui donne naissance au Messie, parce que Jésus est le fils de notre humanité concrète. C’est la femme qui a trouvé refuge au désert, parce que nous sommes le peuple de Dieu qui vit dans le désert d’aujourd’hui, l’exode de Pâques jusqu’au Royaume. La belle image de la fuite en Égypte, conservée ici à Madonna del Sasso, doit nous rappeler que Dieu est à l’œuvre aujourd’hui, pour nous donner un havre de sécurité dans nos déserts !
Grâce à la Marie du Magnificat et à la Marie de l’Apocalypse, Dieu nous révèle notre merveilleuse identité profonde : en fait nous sommes des personnes aimées, des personnes que Dieu choisit pour générer le Messie et le salut. Des personnes que Dieu accompagne durant un temps qui est désert, mais aussi refuge. Marie se réjouit en Dieu, qui comble les humbles et c’est pourquoi, nous aussi, nous nous réjouissons parce que nous découvrons combien d’humbles gestes humains Dieu fait monter au ciel, aujourd’hui, en les inondant de soleil divin, en les rendant déjà pascals.
Chers amis, nous devrions nous transformer tous en réalisateurs de télévision et créer nous-mêmes un film moderne du Magnificat, avec des images de nos vies humbles, avec les gestes de l’amour et la lumière de notre vie quotidienne, avec les actes à contre-courant, difficiles, mais nécessaires, que le monde d’aujourd’hui attend, dans les domaines de l’économie, de la société, de la politique, de la culture, de la solidarité et de la foi.
Quelles images utiliser pour exprimer le Magnificat aujourd’hui ? Où et quand Dieu renverse-t-il aujourd’hui les puissants et élève-t-il les humbles ? Quels sont les riches qui sont renvoyés les mains vides ? Et qui sont les affamés comblés de biens ?
Aujourd’hui, croire en Dieu implique d’avoir le courage de faire quelque chose de beau dans la vie, à partir des grands idéaux de salut et d’espérance. La foi ne peut se réduire à allumer une bougie à la Vierge Marie, ici, ou à Lourdes, ou à Fatima, ou pour demander la grâce de guérir ou de trouver du travail. Marie nous encourage à rêver de la grâce d’une vie nouvelle pour le monde entier. Marie a rêvé grand et nous offre maintenant cette grandeur : la santé, oui, mais pour chaque être humain. Le travail oui, mais pour chaque personne. Le bien-être, la paix, l’éducation, la culture, le droit à la vie, oui, mais pour toutes les générations du monde.
Nous sommes dans un moment de peur, de repli sur nous-mêmes, sur notre identité, sur nos crises. Même les Églises et les religions se montrent souvent apeurées, bloquées sur leurs problèmes internes. Les nations se battent pour défendre leurs privilèges. Le marché mondial échappe au contrôle démocratique et ressemble au grand dragon rouge de l’Apocalypse. À bien des égards, ce début du nouveau millénaire ressemble à un désert, mais la femme de l’Apocalypse dit justement que le désert devient un refuge ! Et saint Paul nous rappelle que le Christ est ressuscité d’entre les morts comme premier-né. Il est le premier, mais nous venons ensuite, et donc une force de résurrection est semée en nous, afin que nous la mettions également dans la réalité du monde d’aujourd’hui !
Chers amis, regardons vers le haut ! Revenons à cultiver des idéaux élevés, de grands objectifs pour l’humanité, pour nos familles, pour nos réalités sociales et économiques, petites et grandes. Dieu prépare un refuge, c’est-à-dire un nouveau monde pour rassasier les affamés. Il l’a dit à travers Marie, une affamée qui a été comblée, une humble qui fut élevée, la servante qui travaille avec la grâce de Dieu, parce qu’elle a cru en la grâce divine. Elle a cru pour le monde entier, pour un monde nouveau ! Amen.
Références bibliques : Ap 11, 19a ; 12,1-6a.10ab ; Ps. 44 ; 1 Co 15, 20-27 ; Lc 1, 39-56
Référence des chants :