Quand je prononce le mot "assomption", il ne s’en dégage pas, en français au moins, un sens immédiat. Or il s’agit d’un mouvement élémentaire que l’allemand désigne si clairement par "Himmelfahrt", une montée, un chemin vers le ciel.
C’est ce chemin que je vous invite à prendre aujourd’hui et pour le tracer, pour le baliser, je profiterai d’une actualité spirituelle particulière. En effet, le pape Jean-Paul II vient de proposer à l’Eglise de ce temps d’ajouter aux quinze mystères traditionnels du Rosaire, cinq nouveaux mystères, qu’il qualifie de "lumineux". Ces mystères sont des tableaux dont l’Evangile est la source et dont, comme nous le verrons, Marie est, au nom de toute l’humanité, le témoin et le gage de l’accomplissement.
1. Le baptême
Mettons-nous donc en route avec le premier de ces mystères lumineux qu’est le BAPTÊME, dans la joie profonde de le méditer en communion avec tous les baptisés du monde, de quelque confession chrétienne qu’ils soient.
Nous avons vécu, frères et soeurs, un été splendide, chaud, lumineux à souhait, mais aussi particulièrement sec. L’eau s’est faite rare. Et, le moins que l’on puisse dire, c’est que nous n’y n’étions pas vraiment préparés ; nous qui vivons au pied des glaciers, entourés de ruisseaux et de torrents ; nous qui voyons l’eau dévaler nos pentes, couler sans compter pour arroser nos champs, alimenter nos maisons, inépuisable semeuse de vie ? Habitués à tant de largesses, nous sommes probablement devenus de moins en moins sensibles à ces équilibres admirables entre soleil et pluie, entre ciel bleu et nuages, entre neige et herbe verte.
Il nous aura fallu ce temps de sécheresse pour redécouvrir combien la vie est dépendante d’éléments qui lui sont essentiels. La vie, de fait, n’est qu’échange et il appartient à sa nature propre de devoir RECEVOIR pour pouvoir DONNER.
Or cela n’est-il pas une parabole ? Je veux dire : notre société, en bien de ses aspects, n’est-elle pas un peu désolante comme nos alpages brûlés par le soleil ? De nombreux symptômes ne manquent pas de nous inquiéter, d’une société en crise, en mal d’espérance. Notre Pape vient peut-être d’en désigner une des causes, lorsqu’il prétend que l’Europe vit une " apostasie silencieuse ", traduisons : un oubli de Dieu, une ignorance, un refus peut-être, de Celui qui est la Source de la vie. Jésus baptisé, lorsqu’il sort des eaux du Jourdain, reçoit la force de l’Esprit, qui, venant de l’amour du Père, fonce sur lui, en fendant le ciel. Dans la vie de Marie, aucune mention n’est faite d’un geste semblable, et pourtant nous la voyons saisie dans la même dynamique. Elle est une femme habitée par l’Esprit, un coeur disponible à la force qui vient d’en-haut, une liberté ouverte au don de Dieu. Au point de donner vie au Christ et de devenir la mère des vivants, la mère de l’Eglise, la mère de tous les baptisés ; soyons sûrs qu’elle déplore nos stérilités et nos sécheresses, mais, croyons aussi qu’elle ne cesse d’assister à chacune de nos renaissances à la vie divine
O Marie, Mère de Dieu et notre Mère, nous te confions ceux qui peinent sur le chemin de la vie, les malades de corps ou d’âme, les personnes atterrées par les échecs, trahies dans leur amour, ou celle qui sont tenaillées par le désir d’un vie plus belle.
2. Les noces de Cana
La station où nous sommes s’étend sur un long plateau de près de 8 km. Il y a quelques décennies, ce plateau était constitué de vastes prairies, émaillées de quelques rares hôtels. En contre-bas, dans le coteau, s’étalaient, comme aujourd’hui encore, une série de villages, alors que tout en bas, vers la plaine, depuis des siècles, s’étend le vignoble. Il m’est facile, à ce stade, d’évoquer le deuxième mystère lumineux qui concerne le miracle de Cana, où Jésus change l’eau en vin. Aujourd’hui, affrontés à un régime de surproduction viticole, nous sommes moins que jamais tentés de faire une lecture matérielle de ce miracle. Du vin, Dieu merci, nous en avons assez et même trop !
Mais considérons le contexte de ce récit : il s’agit d’un mariage, de la célébration d’un amour, de la fête d’une rencontre. En femme attentive, en mère soucieuse de notre bonheur, c’est Marie qui, aux noces de Cana, repère un manque. D’où sa prière étonnante à l’adresse de son Fils : " Ils n’ont plus de vin ! ". Marie pourrait-elle dire autre chose aujourd’hui ? Devant un avenir qui nous inquiète, dans une abondance matérielle qui ne sous satisfait pas, qu’est-ce qui va être le " vin ", cet élément qui puisse nous mettre le coeur en fête ? Marie nous renvoie à Jésus. Le fondement de notre espérance, la source de notre joie, réside dans cette invitation que nous recevons de Jésus lui-même à participer déjà maintenant et jusqu’au-delà de la mort, à ses noces éternelles.
O Marie, Mère de Dieu et notre Mère, nous te confions ceux qui au milieu de nous sont les serviteurs de la joie : les thérapeutes, les artistes, les amoureux, les enfants, et ceux qui, dans le mariage, acceptent d’être sacrement de l’amour de Dieu
3. La Prédication
Troisième mystère lumineux : Jésus annonce le Royaume. S’il en fallait une preuve de plus, le développement stupéfiant de la téléphonie mobile en serait une bonne ! L’homme a un besoin vital de communication. Nous sommes des êtres de parole, et en cela même nous nous reconnaissons créés à l’image de Dieu. Mais dans le flot de nos discours, dans le tohu-bohu engendré par nos moyens techniques, quelle place y a t il pour une parole qui sauve, pour une Bonne Nouvelle ? Au début du ministère de Jésus en Galilée, les foules accouraient, attirées par un homme de qui sortait une parole d’une force nouvelle. Cette Parole, " semence d’avenir ", a donc été posée au coeur du monde, mais elle est, comme toute semence, fonction de la terre dans laquelle elle tombe.
Précisément, Marie est pour nous un modèle, femme " attentive à la Parole ", la digne Reine des prophètes, la soeur aînée de tous les priants de tous les temps. L’ange la déclare d’emblée " heureuse d’avoir cru en la Parole! ". Elle est ainsi la plus parfaite disciple de son Fils. Elle restera, devant tous les âges, un prodige de réception, une merveille d’attention, elle qui accueille tous les événements de sa vie concrète et qui les relit, les médite dans son coeur. Ainsi, forte de la Parole reçue, Marie a pu tout traverser, " les douleurs de l’enfantement ", la nuit même de la croix, jusqu’en la lumière du Royaume éternel.
O Marie, Mère de Dieu et notre Mère, nous te confions ceux qui ont mission parmi nous d’éveiller les autres à la beauté de la Parole de Dieu : les parents, les catéchistes, les prêtres. Nous te confions aussi tous ceux qui vivent de cette Parole, qui l’écoutent, qui la méditent pour rester vivants et continuer à aimer.
4. La Transfiguration
Dans le quatrième mystère lumineux, Jésus est transfiguré. Il donne libre passage à une lumière qui vient de son intérieur, manifestation sensible, extérieure, de son être divin. Or tout cela se passe à l’écart, sur une montagne. Aussi me sera-t-il permis de tenter un rapprochement et de m’adresser plus spécialement à ceux d’entre vous qui prenez quelques jours, dans nos montagnes, pour un temps de vacances, de repos. Je devine que derrière votre présence ici se cache le besoin de prendre de la distance, de la hauteur, par rapport à vos préoccupations habituelles. Je suis certain que vous seriez nombreux à pouvoir témoigner du profit qu’il y a à savoir aménager dans sa vie des moments privilégiés de ressourcement. Remerciez Dieu d’en avoir la possibilité ! Remerciez-Le de ces " petites transfigurations " dont il vous fait la grâce, au cours d’une balade, d’un moment d’amitié ou d’un temps de prière.
C’est du côté de cette lumière toute simple, quotidienne, que nous nous plaisons à situer Marie, pour admirer l’humilité de sa vie terrestre et apprécier ce qui a dû être comme une luminosité délicate, intime, chez cette femme, modeste habitante du petit village de Nazareth. Nous pourrions même trouver là un antidote à tout ce qui nous porterait à faire de Marie un mythe, car elle a été l’une de nous. Et comment ici ne pas rendre grâce à Dieu pour ceux qui, au milieu de nous, à l’instar de Marie, quels que soit leur âge ou leur santé, portent en eux la lumière de Dieu, sans éclat, sans publicité, dans la confiance de leur vie donnée.
O Marie, Mère de Dieu et notre Mère, nous te confions ceux qui passent leurs vacances chez nous, ceux aussi qui exercent des métiers de service. Nous nous mettons en ta présence, avec tous les pèlerins, avec nos frères et soeurs contemplatifs et les membres de nos groupes de prière.
5. Méditation : L’institution de l’Eucharistie
Cinquième et dernier mystère lumineux : l’Eucharistie, le sacrement même qui nous rassemble en ce moment, mémoire que nous faisons de Celui qui s’est donné pour nous sauver. Le don est le fin mot de notre itinéraire de lumière. Là encore, nous admirons Marie comme une icône de notre humanité libérée parce que saisie toute entière dans le don du Christ. Un jour, au coeur de notre histoire humaine, Marie mit au monde le corps de Dieu fait chair, mais elle reste, au long du temps, la matrice spirituelle, baignée d’Esprit, le berceau d’une humanité renouvelée et libérée dans le don du Christ.
L’Eucharistie est le sacrement qui nous dessaisit de nous-mêmes, qui nous fait monter par Jésus, avec Marie, dans la joie du Père ; sacrement qui réalise, jour après jour, dimanche après dimanche, fête après fête, notre progressive " assomption " pour que nous devenions une
"éternelle offrande à la gloire du Père !"
AMEN
Références bibliques :
Référence des chants :