Chaque année le cycle liturgique se clôture en présentant la royauté du Christ comme la récapitulation du message évangélique. Cette fête, avec un tel titre aux relents d’ancien régime, ne rejoint guère nos mentalités modernes. Pourtant les raisons pour lesquelles le Pape Pie XI l’avait instituée en 1925 sont plus actuelles que jamais : le fait de voir le Christ écarté de tout ordre social, refoulé au fond de la vie privée, alors qu’il est, selon toute la tradition biblique, le vrai seigneur de l’univers. Le tout est de ne pas se méprendre sur le vrai sens de cette réalité capitale, d’autant plus difficile à saisir qu’elle ne ressemble en rien à quelque puissance terrestre : « Ma royauté n’est pas de ce monde » (Jean XVIII, 36), proclamait Jésus devant Pilate. Il n’accepte le titre de roi qu’à l’heure de sa mort, lorsque toute ambiguïté aura disparu sur sa mission messianique, portant au-dessus de sa tête couronnée d’épines la triple inscription royale.

Je ne peux oublier (je l’entends encore) avec quels accents bouleversants, dans son premier discours au Concile (29 septembre 1961) le Pape Paul VI s’est identifié lui-même à un de ses prédécesseurs représenté sur la mosaïque de Saint-Paul-hors-les-murs, « tout petit et comme anéanti à terre, baisant les pieds du Christ à l’énorme stature qui domine et bénit avec une majesté royale ».

La seigneurie du Christ s’étend à tout : aux réalités terrestres et célestes, visibles et invisibles, publiques et privées, elle est totale et absolue. Pour exprimer cette royauté cosmique, le Christ est appelé dans l’Apocalypse « Pantocrator », celui qui est « Tout ». Mais ce Christ-Roi en face de qui pâlit la splendeur des empereurs divinisés est aussi celui qui peut être mis en échec par la liberté de l’homme. Car le Christ qui a dit : « tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre » (Matthieu XXVIII, 18) se fait impuissant devant l’homme qu’il a rendu puissant en le dotant de liberté, sa plus haute et mystérieuse dignité.

Nous vivons ce temps inconfortable mais stimulant du « déjà là » et du « pas encore » qui caractérise le temps de l’Église et dont un séminaire exerce l’apprentissage pour le ministère sacerdotal. Le prêtre est celui qui vit intensément et fait vivre l’attente du retour du Christ ressuscité. Quand la Rédemption est vécue seulement comme un héritage que l’Église se contente de gérer de son mieux, sans aucun souffle novateur, alors les chrétiens ne sauraient marcher allègrement vers la réalité glorieuse des derniers temps. L’Église n’avance que si elle est habitée par le désir et le souci de voir son Seigneur être de plus en plus reconnu par tous comme Seigneur. Alors le « pas encore » ne cesse de passer dans le « déjà là ». L’Eucharistie, particulièrement celle du dimanche, en est le moment le plus fort, le plus poignant quand une assemblée comme la nôtre lance le cri : « Viens, Seigneur Jésus ! Nous attendons ta venue dans la gloire. » Cette attente, qui est déjà une présence, fixe la charte de l’existence chrétienne : quoiqu’il en soit des difficultés du temps présent, nous avons à vivre dans la proximité et donc dans l’urgence d’un « règne de justice, d’amour et de paix » (préface). Rien de plus exigeant pour notre vie quotidienne. Car « il ne suffit pas de me dire ‘Seigneur, Seigneur’ pour entrer dans le Royaume des cieux ; il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux ». À travers nos misères, voire nos trahisons, le Christ nous entraîne sur la voie royale du service de Dieu et de nos frères.

Au fond, est-ce si difficile de lui reconnaître ce titre de Roi, de Seigneur ? Reprenons la prière du pauvre Bon Larron : « Jésus, souviens toi de moi quand tu viendras comme roi. » Et chacun de nous, à l’heure fixée, par le Père des cieux, pourra alors entendre la réponse majestueuse : « Aujourd’hui même tu seras avec moi en Paradis » (Luc XXIII, 42-43).

Il suffit de se reconnaître larron soi-même !

Oui, larron pénitent, vous et moi …

Amen

Références bibliques :

Référence des chants :

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