La Samaritaine en a oublié sa cruche
Elle venait chaque jour avec sa cruche, à une heure où le soleil tape fort. Les femmes sont peu nombreuses à ce moment-là. Elle voulait passer inaperçue. Pas de chance ! Elle rencontre quelquâun. Et un homme, en plus. Et même un Juif, elle qui est une Samaritaine.
Jésus, car câest lui, commence par lui demander à boire. La soif dâune rencontre vraie. "Toute demande est une demande dâamour", disait le psychanalyste Lacan. Cette soif anime toute la vie de Jésus, jusque sur la croix où il dira : "Jâai soif !" Câest que, si lâhomme cherche Dieu depuis toujours, Dieu est parti à sa rencontre depuis bien plus longtemps encore. Nâest-ce pas Jésus qui, au bord du puits de Jacob, a fait le premier pas en demandant à boire ?
Mais revenons à la Samaritaine. Pendant quâelle allait puiser, toute seule, elle pouvait sans doute remuer dans sa tête ses problèmes sentimentaux. Ils doivent ressembler aux nôtres. Nous sommes encombrés de nous-mêmes, aux aguets de tous les gestes qui pourraient nous dire notre importance, préoccupés de nous-mêmes. "Jâai eu un grand amour, et cet amour câest moi-même", faisait dire lâécrivain Camus à un de ses personnages. Et en ces temps où lâindividu est roi, ce repli sur soi se renforce sans doute ainsi que le disait Mgr Defois, lâévêque de Lille : "Ce qui compte, aujourdâhui, câest dâêtre bien dans ses baskets !" Mais lâon ne se préoccupe pas toujours de savoir si lâautre en aâ¦
Et puis, il y a les éternelles questions religieuses. Où faut-il adorer, comment faut-il célébrer lâeucharistie, faut-il être du Renouveau charismatique ou chrétien de gauche, catholique ou protestant, accepter la théorie de lâévolution ou la combattre⦠? Et Jésus a une réponse lapidaire : "Adorez Dieu en esprit et en vérité".
En esprit et en vérité. En effet, Dieu nâest pas localisable. Il peut être rencontré partout, là où lâhomme est vrai. Pas plus que le vent, il ne peut être capturé. Esprit, souffle et vent ont dâailleurs la même étymologie. Quel texte ! Toute personne peut faire la rencontre de Dieu, quelle que soit sa religion. Il lui suffit dâêtre vrai, de se laisser emporter par lâEsprit divin qui souffle où il veut.
Un jour, un vieux sage demanda à ses interlocuteurs : "Où peut-on rencontrer Dieu ?" Et le musulman parla de la mosquée, le juif du Mur des lamentations. Un autre évoqua la nature quand elle est hospitalière. Le chrétien, timidement, se permit de citer la messe dominicale. Chaque fois le vieil homme hochait la tête. Aucune réponse ne le satisfaisait. Il reprit la parole : "Tu rencontres Dieu chaque fois que tu lui ouvres la porte de ton cÅur."
Avez-vous remarqué comme la Samaritaine tente de résister ? De lâeau vive ? Mais sa cruche quotidienne lui suffit. Comment pourrait-il apporter plus ? Ah ! une eau qui me dispenserait de venir puiser… Et effectivement, comme elle, nous sommes toujours intéressés par une religion qui rendrait la vie plus confortable. Il y a aussi sa vie passée qui est gênante, alors elle détourne la conversation vers les questions religieuses : où adorer ? Les histoires de religion et les scandales qui font la une des journaux sont bien précieux pour nous empêcher de nous poser la seule question essentielle, celle de notre conversion.
La Samaritaine, câest vous et moi. Elle fait tout pour ne pas devoir se remettre en question, pour détourner la conversation quand elle se sent coincée. Elle est encombrée de questions et de problèmes, qui vont de la cruche au débat religieux en passant par ses difficultés sentimentales. Et soudain, retournée par celui qui lâaccueille telle quâelle est, elle lui ouvre la porte de son cÅur et va trouver sens à sa vie.
Un évangile baptismal
Revenons à notre parabole. Quelques jours plus tard, le sage vit un jeune homme avec un sac au dos. "Où vas-tu ? â Je pars en montage. â Et pourquoi ? â Pour rencontrer Dieu… â Mais, tu peux rencontrer Dieu partout, se sentit obligé de dire le vieux sage. â Câest vrai, repartit le jeune, mais moi, câest en montagne que je lui ouvre plus facilement mon cÅur."
En ce temps de Carême, sommes-nous animés par une véritable recherche de Dieu ? Avons-nous repéré des lieux, des démarches, des lectures, des moments où nous lui ouvrons plus facilement notre cÅur ? Et, surtout, sommes-nous disposés à vivre vrai ? Saurons-nous nous désencombrer de tout ce qui nous détourne de la seule vraie question ? Y aura-t-il dans notre vie un puits au bord duquel nous pouvons rencontrer Jésus et nous souvenir de notre baptême ? Notez que Jésus nâa pas dit à la femme : Reviens quand tu auras mis de lâordre dans ta vie ! Il poursuit la rencontre…
Gageons quâaprès cette rencontre, la Samaritaine a eu la force de revoir sa vie et de la réorienter vers Dieu. Elle a en effet laissé sa cruche aux pieds de Jésus. Elle a trouvé bien plus que ce quâelle était venue chercher : Jésus lui-même.
Références bibliques :
Référence des chants :