À dire vrai, si j’avais été Pierre, j’aurais eu peur moi aussi. D’abord parce que je n’aime pas l’eau ; ensuite, parce que les tempêtes de la mer de Galilée sont réputées mauvaises ; enfin, parce que cette tempête symbolise tout ce que nous avons à craindre : les épreuves de la vie, les repères qui se dérobent, la mort qui menace et ouvre sa gueule juste là, sous nos pieds, là où nous croyions le sol solide. Et ce symbole explique la réaction des témoins lorsque, d’un geste, le Seigneur apaise la tempête : seul Dieu peut dompter la mort et refermer son gouffre béant, seul Dieu est maître de la mort de la vie. Jésus est vraiment Fils de Dieu, Jésus doit être vénéré à l’égal de Dieu, Jésus est Dieu. Tel est le sens théologique de cet Évangile et je crois qu’il est important de le rappeler.
Mais revenons à notre Pierre. Non seulement Pierre, en bon marin qu’il est, ne sait pas nager, mais il demande, en pleine tempête, de marcher lui aussi sur les eaux. Demande parfaitement folle à première vue. Demande parfaitement logique à la réflexion. Parce qu’être disciple du Christ ne consiste pas à regarder Jésus faire ceci ou cela ; être disciple du Christ, être chrétien, consiste à faire ce que Jésus fait, à devenir comme Jésus. Et donc, pour nous aussi, à marcher sur les eaux. Du reste, nous le savons. Lorsque nous demandons au Seigneur la force de ceci ou cela, lorsque nous nous engageons à servir et à aimer, lorsque nous prenons le grand risque du mariage ou de la vocation religieuse, lorsque nous devenons parents, lorsque nous affirmons notre foi à voix haute, que faisons-nous d’autre que de descendre de la barque et de marcher sur la mer ? En vérité, nous, chrétiens, ne faisons rien d’autre que d’avancer, vaille que vaille, sur la mer de la vie et de la mort, entre la barque de notre enfance et le Seigneur qui, là-bas, nous attend. Aux mauvaises heures, nous nous enfonçons et nous sentons les eaux qui nous happent. Aux heures heureuses, nous volerions presque…
Je disais que si j’avais été Pierre, j’aurais eu peur, moi aussi. Il est normal, il est prévisible d’éprouver des doutes, des égarements, des chutes dans la vie chrétienne. Suivre le Christ au-delà des limites de la mort et de la vie, du possible et de l’impossible, du croyable et de l’incroyable, n’a rien d’évident. À chaque fois que nous descendons de la barque, ou qu’une vague nous fait passer par-dessus bord, nous pouvons trembler… Mais c’est alors que résonne sur les eaux la voix du Christ, et ces paroles mêmes qui reviendront à la Résurrection : « N’ayez pas peur ! » N’ayez pas peur de croire que le Christ est le maître des éléments, le maître de la vie. N’ayez pas peur de descendre de la barque, de vous engager, de dire votre foi, de vivre votre amour, de devenir père, mère, sœur, frère, ami, de grandir, de vieillir, d’aller vers le Christ, de marcher sur les eaux !
N’ayez pas peur, lancez-vous ! Jésus vous dit : « Viens ! » Viens, suis-moi et tu traverseras la mer, et la mer ne pourra rien sur toi, et tu seras heureux, pour l’éternité ! Amen.
Références bibliques : 1 R 19, 9a.11-13a ; Ps. 84 ; Rm 9, 1-5 ; Mt 14, 22-33
Référence des chants : Liste des chants de la messe à Terrasson le 10 août 2014