Mes amis, qui oserait dire que tout ceci ne le concerne pas ? Qui n’a jamais calculé une invitation en fonction de celle qu’il pourrait recevoir en retour ? Qui n’a jamais passé une bonne soirée à essayer de placer une bonne histoire, un bon mot, à briller juste ce qu’il faut en se mettant au centre ? Entre nous, nous pensons facilement que ce n’est pas très grave ! Et pourtant, nous savons aussi, ce qu’il en coûte de mauvaise joie, de n’agir que par rapport au regard des autres.
Au contraire, nous avons aussi, vous et moi, goûté la joie d’une rencontre, d’une discussion, d’une soirée entre amis ou en famille, où on ne cherche pas d’abord à briller et à se placer, où on est totalement soi-même, sans vouloir paraître. Nous savons bien tout cela et pourtant nous sommes quand même tous, plus ou moins, pris en défaut par cette petite parabole de Jésus.
Ces comportements qu’il décrit trahissent finalement quelque chose d’assez profond en nous. Ce ne sont pas seulement des petites mondanités mesquines que Jésus vise ici et dont on pourrait se contenter de sourire, mais c’est, évidemment, plus important. Ce désir de paraître, de dominer parfois, révèle plus profondément chez nous ce désir jamais satisfait de « toute-puissance » et qui a toujours besoin d’être converti. Alors, à la fin de ce magnifique festival Anuncio et de ce temps de mission où vous avez voulu mettre le Christ au centre de toutes vos rencontres, de cette annonce de l’Évangile de vie, recevons comme une grâce de pouvoir mieux comprendre ce qu’est cet orgueil contre lequel Jésus nous met en garde et quelle est alors la juste place du disciple que nous voulons être.
Qu’est-ce que cet orgueil qui peut polluer nos plus forts désirs et nos plus belles actions ? Ce n’est pas si facile à dire, car ce n’est pas être orgueilleux que de connaître ses talents et de vouloir les développer. C’est même une demande de l’Évangile. Ce n’est pas non plus être orgueilleux que de reconnaître que l’on a été choisi et envoyé comme témoin. Ce n’est pas encore être orgueilleux que d’éprouver la joie d’avoir été fort face à une épreuve ou un obstacle, ou d’avoir permis à un frère ou à une sœur de retrouver le chemin de Dieu.
La première lecture de ce dimanche nous livre une petite perle. « Accomplis toute chose dans l’humilité et tu seras aimé plus qu’un bienfaiteur. » Autrement dit, un bienfaiteur vous donne des choses mais celui qui est humble vous donne d’abord d’être. Ce sera alors, en cultivant la vertu qui lui est contraire, l’humilité, qu’on pourra savoir ce qu’est l’orgueil et lutter contre. L’humilité, c’est avoir une juste estime de soi ; c’est accepter que les autres puissent m’apprendre et m’aider à me construire ; c’est se remettre en tout, avec une infinie confiance, à Dieu. Cela est profondément vrai du missionnaire qui ne s’appuie pas sur ses capacités humaines mais sur la puissance du Ressuscité. Les humbles dans la Bible sont proches de Dieu, car ils ont gardé le sens de leur propre relativité. Ils ont conscience de ne pas être le centre de tout et ils savent se référer à une réalité plus grande qu’eux-mêmes.
Comme la Vierge Marie, ils savent qu’ils sont de simples serviteurs, confiants et émerveillés. Ô combien cette humilité doit être l’âme de tout apostolat ! Mais alors, quelle est cette première place à laquelle le Christ nous appelle ? Vous connaissez ces paroles : « Celui qui veut devenir grand parmi vous, se fera le serviteur de tous. » « Le plus petit parmi vous, voilà le plus grand. » « Les derniers seront les premiers. » Ce sont les grands paradoxes de l’Évangile qui ne cessent de nous bousculer et de nous inviter à la conversion. Oui, les critères du monde sont inversés. Et pourtant, ce sont là des paroles de vérité pour notre bonheur. Vérités simples que nous pressentons, intimement, mais que les superficialités, les mondanités, les duretés de notre existence nous masquent sans cesse. Il nous faut les retrouver.
Le bonheur profond n’est pas de dominer mais de porter la joie ; le bonheur n’est pas d’être admiré et de se servir des autres mais de servir et de se donner. N’oublions jamais que notre Dieu s’est fait humble, serviteur et pauvre. Désormais, nous savons que nous montons vers Dieu lorsque nous consentons à servir humblement. Voilà la première place, voilà le cœur de l’Évangile, voilà ce qu’il nous faut sans cesse annoncer aux hommes et aux femmes de ce temps, voilà surtout ce que nous sommes appelés à vivre nous-même, comme notre pape François nous le rappelle constamment.
Évangéliser ma vie, c’est-à-dire laisser le Christ vivre en moi, est le premier gage de ma crédibilité apostolique. Toute évangélisation exige un témoignage de vie qui atteste de la vérité et de la réalité de l’Évangile. Vous l’avez expérimenté en ces jours du festival Anuncio, c’est de cette union amoureuse au Christ que jaillit le désir de l’annoncer, d’évangéliser et de conduire d’autres au « oui » de la foi en lui. Alors, oui, chers missionnaires, et vous tous, chers amis, soyez en sûrs : on a trouvé la meilleure place quand, autour de soi, un peu grâce à nous, mais surtout à la puissance de l’Esprit du Christ en nous, les autres ont envie d’être meilleurs et d’aimer en vérité.
Références bibliques : Si 3, 17-18.20.28.-29 ; Ps. 67 ; He 12, 18-19.22-24a ; Lc 14, 1a.7-14
Référence des chants : Chants de la messe du 01 09 2013