Tous ceux qui ont été évoqués dans les lectures de cette fête de la Sainte Famille nous invitent, par leur exemple, à grandir dans la foi. Abraham obéit à l’appel de Dieu et se montre prêt à offrir son fils en sacrifice « grâce à la foi », Sara sait que « Dieu est fidèle à ses promesses », les parents de Jésus viennent présenter leur enfant au Seigneur et font tout ce qui est prescrit par la loi du Seigneur. Syméon vient au Temple sous l’action de l’Esprit pour vivre cette incomparable rencontre avec « le Messie du Seigneur ». Quant à Anne, malgré ses quatre-vingt-quatre ans, elle proclame les louanges de Dieu et parle de Jésus à tous. Nos regards, pour finir, se portent sur cet enfant qui, retourné à Nazareth, grandit et se fortifie… tandis que la grâce de Dieu est sur lui.
Frères et sœurs, aujourd’hui, je voudrais vous dire quelques mots de Gabriel Rosset, né en 1904 en Isère, et mort il y a juste quarante ans, le 30 décembre 1974, à l’Hôtel-Dieu, à Lyon. Permettez-moi de le présenter dans la figure de Syméon, cet « homme juste et religieux qui attendait la Consolation d’Israël » ! Gabriel Rosset ne cache pas que l’Esprit Saint est venu aussi sur lui : « Nous avons reçu un appel ; Jésus nous demandait de nous occuper directement des déshérités et des malheureux. Nous en étions sûrs, Marie voulait une telle œuvre. » Toute sa vie, il a montré d’où vient le salut que Dieu a préparé pour son peuple et il a tourné les regards vers celui qui est la lumière des nations et la gloire d’Israël, le peuple choisi.
Cela ne l’a pas détourné de sa première mission et ses élèves ont souvent exprimé leur admiration pour ce professeur de français inoubliable, au visage ascétique et souriant… un homme lumineux, exceptionnel ! « Il nous faisait découvrir les vraies questions, celles qui portent sur le sens de la vie. Nous avions conscience de vivre des temps forts, car ses propos n’étaient pas de bonnes paroles, mais l’expression d’un témoignage vécu. » Après l’appel reçu de Dieu, sa vie se partage entre ses élèves et les sans-abri, mais tout reste dans la réserve lyonnaise : « Je ne l’ai jamais entendu, dit un ancien élève, faire quelque allusion que ce soit, dans son enseignement à sa foi chrétienne ou à son rôle de fondateur de l’Association. »
« Un homme juste et religieux. » Juste, oui, et même « affamé et assoiffé de justice », car il passait ses nuits dehors à chercher ceux qui dormaient sous les ponts ou ailleurs, et il n’arrivait pas très frais à ses cours, à 8h du matin. Et religieux, c’est clair ! Il se retirait régulièrement à la Trappe de Notre-Dame des Dombes, dans l’Ain. C’est là, qu’au lendemain de Noël, il a fait une hémorragie cérébrale qui a eu raison de lui. Parfois, il invitait des jeunes à vivre avec lui ces journées de récollection chez les Trappistes. Engagés personnellement ou avec le scoutisme, au Foyer, pour le service des pauvres, ils s’étonnaient après quelques heures au monastère : « Monsieur Rosset, vous nous avez fait venir ici, pour nous dire quelque chose, sans doute ? » et lui de répondre : « Oui, je voulais que vous entendiez… le silence. »
En cette fête de la Sainte Famille, nos regards contemplent le mystère de l’amour qui circule entre Joseph, Marie et Jésus, un amour qui donnera au nouveau-né toute sa place au milieu des hommes. Trois êtres simples et pauvres, ignorés de tous, mais destinés à être source de salut pour l’immense famille humaine. En écoutant Gabriel Rosset, on s’aperçoit que, pour lui aussi, l’ouverture de son cœur devant ceux qui ont faim ou qui n’ont pas de toit, et sa « résolution de les soulager coûte que coûte » viennent de l’exemple reçu dans sa propre famille.
Écoutons-le : « Ce fut pour l’enfant que j’étais une grâce incomparable d’être élevé dans une famille pauvre, où l’on savait se priver pour économiser un sou (…) Je fus privé des plaisirs frelatés que procure l’argent aux enfants, mais non pas de soins ni d’affection. Je ne puis dire combien j’aimais mes parents, persuadé que je ne pourrais jamais leur rendre qu’une infime partie de tout ce qu’ils avaient fait pour moi ! Dans mon enfance pauvre et heureuse, nous étions, mes parents et moi, privés de beaucoup de choses et dans un brouillard qui nous bouchait bien des horizons. Mais dans cette nuée brûlait un feu divin (…) Nous n’aurions pas eu l’idée qu’il suffirait d’apporter aux pauvres les biens matériels. Nous connaissions nous-mêmes d’autres biens dont vivait notre âme. »
Oui, plus les racines sont profondes, plus les branches de l’arbre pourront s’étendre au loin. Quel inestimable cadeau, à désirer pour tous, que celui d’une famille où l’amour circule et permet à chacun de devenir lui-même et de trouver librement le lieu de son offrande ! Mais plus encore que sur sa famille, Gabriel Rosset insiste sur l’enracinement en Dieu par la prière : « Ce que nous faisons au Foyer en abritant des hommes et des familles en détresse faute d’un toit, (…) c’est l’œuvre de Dieu. Dans une tâche si chrétienne et si humaine nous pouvons tous, croyants et incroyants, partager cette intuition. La perdre est le plus grand danger que nous puissions courir. » Il redoute que le succès du Foyer ne donne à ceux qui s’y engagent l’illusion qu’il s’agit du résultat de leurs efforts, que c’est leur œuvre. Et il s’exclame : « Que Dieu nous garde de ce malheur ! » et que chacun se souvienne que, dans l’œuvre de Dieu, nous sommes tous, comme dit l’Évangile, des « serviteurs inutiles ».
Voilà donc, pour nous, trois pôles de réflexion en cette fête de la Sainte Famille : une pauvre famille humaine, comme celle que nous voyons entrer aujourd’hui dans le Temple de Jérusalem ou comme celle de Gabriel Rosset, l’immense famille humaine où tant de souffrances sont toujours à soulager et, au milieu, celle de l’Église. Toute pauvre et parfois méprisée, elle est aussi catholique, rayonnante dans l’univers entier. Elle reçoit chaque jour un amour infini venu d’en haut et elle a pour mission de le partager dans une attention et un service infatigables. À la cérémonie des funérailles de Gabriel Rosset, le cardinal Renard, comme un père et un bon pasteur, exprima ce souhait devant toute sa « famille diocésaine » : « Que Dieu soit toujours servi dans ses pauvres sur notre terre lyonnaise, comme il le fut par notre ami. »
Avec l’aide de Dieu, la joie spirituelle et la ferveur de sa foi ont permis à Gabriel Rosset de faire reculer les limites du possible. La beauté de sa vie nous attire et nous savons qu’il y a encore beaucoup à faire !
Références bibliques : Livre de la Genèse 15, 1-6 ; 21, 1-3 ; Ps. 104 ; Epître aux Hébreux 11, 8-19 ; Luc, 2, 22-40
Référence des chants : Liste des chants de la messe à Lyon Prado le 28 décembre 2014