Frères et sœurs, Dieu se fait-il prier ? Est-il sourd à nos prières, lent à nous exaucer ? C’est une question partagée par beaucoup de croyants, par des incroyants aussi, fatigués peut-être de prier un Dieu qui ne répond pas. Un Dieu qui serait aux abonnés absents.
Pour inviter ses disciples à changer de mentalité quant à la prière et à l’image qu’ils se font de Dieu, Jésus, comme à son habitude, raconte une parabole, une petite histoire chargée de faire réfléchir ses auditeurs. Un juge inique, sans foi ni loi, lassé par l’insistance d’une veuve, finit, de guerre lasse, par lui accorder ce qu’elle demande. L’argument de Jésus est fort simple : si même ce juge a fini par craquer, combien plus Dieu répondra à ses élus qui l’implorent.
Mais alors, Dieu serait-il comme ce juge qu’il faudrait avoir à l’usure en lui tirant les oreilles pour qu’il nous écoute ? Ce n’est pas la conséquence qu’en tire Jésus. Dieu n’est pas un tyran capricieux ou indifférent à nos besoins et la prière ne consiste pas à essayer, parfois en vain, de lui soutirer des grâces. Pour comprendre la parabole, il faut relire la question finale de Jésus : « Le fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
Ce n’est pas Dieu qui semble attendre de nous répondre, c’est notre foi qui est, parfois, aux abonnés absents. S’il importe de prier sans cesse et de ne pas se décourager, ce n’est pas parce que Dieu serait lent ou sourd. Au contraire, le fait qu’il s’empresse de répondre à ceux qui l’appellent devrait aller de soi. La preuve, c’est que même un mauvais juge finit par s’y résoudre.
La difficulté ne tient pas à l’exaucement, mais à la prière. Or, la prière n’a pas pour but de mobiliser Dieu, puisque Dieu est déjà là et qu’il attend, mais d’apprendre à croire, c’est-à-dire à faire confiance. Le mot « foi » ne renvoie pas d’abord à des croyances, mais à ce que nous appelons la confiance. Mais celle-ci n’est pas un état acquis une fois pour toutes : on n’est pas croyant, mais on le devient en faisant confiance, jour après jour, envers et contre tout. Le français le dit bien : on fait confiance, cela se travaille, se construit. On comprend dès lors mieux pourquoi Jésus puisse demander si le fils de l’homme trouvera la foi sur la Terre. Trouvera-t-il des hommes et des femmes qui cherchent, qui font confiance en ce Dieu qui prend soin d’eux ? Peut-être que se trouve là la principale difficulté de la prière : nous n’arrivons pas toujours à croire que ce que Dieu nous donne, c’est pour notre accomplissement, notre bonheur.
Avons-nous vraiment envie de recevoir quelque chose de Dieu ? Nous risquerions de recevoir ce que nous n’avons pas demandé… Donne-t-il plus d’avoir, de bien matériels, d’argent sur nos comptes en banque ? Non, il donne l’esprit de pauvreté, le manque ouvert au don de la relation, la seule véritable richesse. Donnerait-il plus de pouvoir, de supériorité sur les autres ? Non, il donne l’esprit de service qui nous rend responsables et solidaires les uns des autres. Nous rendrait-il plus avantageux, plus jeunes, plus beaux, attirants ? Non, il donne l’humilité qui est la vertu de ceux qui croissent et portent du fruit sans écraser les autres. Ces dons forment ce que la Bible appelle la justice, l’art d’être bien ajusté les uns aux autres, avec soi et avec Dieu. Cet ajustement demande la confiance, s’en nourrit et change tout dans le monde. Le désirons-nous vraiment, ce changement, ce monde nouveau où il n’y aurait plus de juges imbus d’eux-mêmes et de pauvres veuves laissées à leur misère ? Voulons-nous vraiment ce que Jésus appelait le Royaume de Dieu, le projet social de son Père qui modifie de fond en comble nos rapports de force ? Ce monde plus juste et fraternel est à portée de notre prière, laquelle change notre cœur et nous apprend à faire confiance.
C’est donc, avertit Jésus, notre peur d’être exaucé qui paralyse Dieu, notre méfiance qui empêche notre cœur de recevoir ce qui est déjà donné, en abondance. Dieu ne veut enfoncer la porte de notre cœur ni nous contraindre : c’est pourquoi seule notre confiance lui permet de nous donner son Esprit.
Prie-t-on pour être exaucé ? Non, c’est le contraire : on prie parce qu’on a déjà été exaucé. Toute prière s’épanouit en merci. Amen.
Références bibliques : Ex 17, 8-13 ; Ps 120 ; 2 Tm 3, 14-4,2 Lc 18, 1-8
Référence des chants :