Une femme me disait un jour : « Moi, la Trinité, je m’y perds complètement ! » Bien sûr, cette dame voulait dire qu’elle ne comprenait pas grand-chose à ce Dieu unique en trois personnes et qui semble défier toutes les lois mathématiques, mais avait-elle mesuré la haute portée spirituelle de ses paroles ? Car en effet, ses propos pouvaient être interprétés d’une bien autre manière puisqu’ils pouvaient également signifier que la Trinité n’est peut-être pas d’abord un mystère qu’il s’agit de triturer intellectuellement, mais dans lequel il faut plonger, s’abîmer, se perdre totalement pour se retrouver intégralement.
Plonger dans la vie trinitaire, c’est plonger dans une communion de personnes où chacune a sa personnalité, unique et singulière : le Père n’est pas le Fils et le Fils n’est pas l’Esprit, comme l’Esprit n’est pas le Père. Oui, chacun au sein de la Trinité a sa personnalité propre et singulière, mais jamais sans les autres : le Père, en effet, ne peut être père sans le fils et le Fils ne peut être fils sans le Père. Leur relation est vraiment constitutive de chacun dans sa personnalité propre de père ou de fils. Leur relation n’est en rien accidentelle, mais elle est essentielle pour que chacun soit pleinement lui-même. Souvent, frères et sœurs, nous pensons que nous développerons notre personnalité propre si nous parvenons à nous extraire de la communauté, or c’est en étant en relation spécifique avec chacune des personnes qui constituent notre communauté que nous adviendrons à notre personnalité propre et singulière.
C’est là toute la différence entre une somme d’individus où chacun existe pour lui-même, sans relation essentielle avec les autres, et une communion de personnes, comme il en existe au sein de la Trinité, où chacun entretient avec les autres une relation qui lui corresponde. Ainsi, notre Dieu Trinité, communion de personnes dans l’amour, présente le plus beau visage de la paix. Non pas une paix morte où chaque individu est constitué dans son droit et exige que les autres lui fichent la paix, mais une paix vivante, faite de relations et d’échanges dans l’amour. Si Dieu était un être monolithique, l’homme devrait lui aussi se comprendre comme un être solitaire. La vie sociale, la vie communautaire ne serait qu’une contrainte de plus, l’autre serait toujours de trop. Mais si, au contraire, nous sommes créés à l’image d’un Dieu qui est communion de personnes dans l’amour, alors l’autre peut devenir mon partenaire aimé, mon complément précieux et solidaire. Et si ces relations sont vécues dans l’Esprit, dans cet Esprit qui ne fait plus de nous des esclaves, des gens qui ont encore peur, comme le disait saint Paul dans la 2e lecture, alors ces relations ne sont plus des relations de subordination ou de domination, mais des relations de collaboration et de communion réciproques.
Ces relations trinitaires, de personne à personne, sans volonté de domination ou de subordination, mais vécues dans l’amour et la collaboration mutuelle, ce sont celles que vous, mes sœurs, essayer de tisser chaque jour dans votre communauté monastique. Et pour nous, aujourd’hui, vous représentez bien ce beau visage de la communion trinitaire. Quand le Christ, dans l’Évangile, envoie ses disciples baptiser toutes les nations au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit, ça n’est pas vers une masse indifférenciée qu’il les envoie, mais il envoie chaque apôtre tisser des relations vraiment trinitaires, de personne à personne, avec ceux qu’ils rencontreront. Seul l’amour trinitaire, en effet, est un amour vraiment missionnaire. Alors, à l’image des apôtres que Jésus envoie baptiser toutes les nations et comme me le disait cette dame, nous n’aurons jamais fini de nous perdre dans cet amour qui unit les personnes de la Trinité pour tisser, avec nos frères, des relations vraiment trinitaires !
Références bibliques : Dt 4,32-34.39-40 ; 14) ; Ps. 32 ; Rm 8, 14-17 ; Mt 28, 16-20
Référence des chants : Liste des chants de la messe du 31 mai à Laval