Frères et soeurs,

Lorsque nous avions à peine quelques mois, nous avons tous traversé ce que les psychologues appellent le «stade du miroir».
Il s’agit d’une étape de l’évolution psychique, durant laquelle l’enfant identifie progressivement son corps et découvre qui il est. Placé devant un miroir, l’image que l’enfant voit est bien la sienne, et non celle d’un autre enfant ! Il prend ainsi conscience de son identité, grâce au miroir qui le renvoie à lui-même.   

Dans nos vies, nous avons toutes et tous des « événements miroirs », des situations et des rencontres qui nous révèlent à nous-mêmes, qui nous confrontent à notre fragilité, et nous ramènent à ce que nous sommes réellement. Ce peut être projet brisé, une histoire douloureuse, un échec professionnel, la perte d’un être aimé. Et chaque fois, nous pouvons être —comme le jeune homme riche— traversés par l’envie de subir, de nous en aller tout triste, d’en finir. Toutefois, si ces événements nous confrontent à notre manque, ils peuvent aussi —avec les yeux de la confiance— nous aider à grandir, à franchir une étape et à traverser la déception.

Dans le récit que nous venons de lire, Jésus propose ce que je serais tenté d’appeler « le test du miroir » au jeune homme riche.
Ce dernier s’adresse à Jésus sous l’horizon de l’avoir et du faire : « Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle » ? Et Jésus, comme par un jeu de miroir, renvoie ce jeune homme non à ce qu’il a, mais à ce qu’il est : un être inachevé, dont l’unique richesse est la vie reçue… « Va », « vends », et « viens » lui dit Jésus. Par ces paroles de libération qu’il nous adresse également, nous sommes conviés à découvrir la véritable richesse, celle du lien et de la rencontre. Le jeune homme ne voit pas cette richesse-là, celle qui vient du regard de Jésus posé sur lui.

Finalement, une seule chose manque à cet homme : le manque, c’est à dire l’audace d’une fragilité assumée ! Il est tellement comblé de tout qu’il ne peut se séparer de rien. Il ne parvient pas à intégrer en lui, ce manque, cet écart nécessaire à toute relation. Il ne parvient pas à creuser en lui le désir d’être et de vivre.

Dès lors, dans nos relations humaines, lorsque le manque vient à manquer et que nous sommes assis dans une forme de routine, la tristesse n’est jamais loin. Oui, il y a vraiment un "manque" qu’il nous faut gagner ! Il est cet espace qui nous permet de respirer, cet écart nécessaire pour accueillir l’imprévu. Il est cette absence de certitude qui creuse notre le désir d’altérité, il est cette distance qui nous donne soif de rencontres, et le courage d’aimer sans posséder. Il est ce silence qui nous permet de prier ; ce risque qui donne confiance ; ce vide qui fait grandir notre espérance.

Voilà l’esprit de sagesse que les textes de ce jour nous invitent à rechercher : cette audace qui accueille la fragilité, le manque, l’incertitude, le doute comme autant de possibilités de grandir, de s’épanouir, d’avancer.

Dans notre société de surconsommation qui nous contraint à toujours plus d’avoir et de pouvoir, la parole de sagesse ne vient en rien faire l’exaltation de la précarité, scandale qui doit être combattu, mais bien de la fragilité. Cette dernière est un rapport de détachement aux choses, mais d’intérêt redonné à la vie, pour ce qu’elle est réellement. Et c’est précisément cela que le jeune homme riche n’a pas compris. A force de vouloir gagner sa vie éternelle, il en oublie de vivre la vie réelle. Il ne voit pas que la présent est un don. Il vit sa vie par mérite, par devoir. Il cherche à la « remplir », par narcissisme. Il ne voit finalement pas que la vie est une richesse que dans la mesure où elle se donne.

Pour ceux qui se risquent à vivre cette audace de la fragilité au quotidien, la vie éternelle n’est plus envisagée comme une récompense, mais comme un don de chaque instant. Vivre la fragilité, ce signe intérieur de richesse, c’est en effet changer notre regard sur le temps qui passe, redécouvrir ce qu’il est pour nous réellement : autant de moments où l’éternité de Dieu peut faire irruption dans notre histoire. Car l’éternité de Dieu, ne se possède pas. Elle se reçoit au quotidien, dans la gratuité. Alors, dans cet esprit d’ouverture et d’audace, les fruits que nous récolterons seront la patience, la bienveillance et une vraie sagesse de vie. « J’ai prié, et le discernement m’a été donné, et la sagesse est venue en moi, et à côté d’elle, j’ai tenu pour rien la richesse.» Vivre cette audace de la fragilité, c’est finalement se rendre disponible à la présence de Dieu dans nos vies. C’est regarder l’humain, comme Jésus l’a fait, avec les yeux de la bienveillance et non de la performance, de la gratuité et non du profit.

S’il en est ainsi, osons vivre de cette fragilité et nous nous découvrirons toujours plus par le regard aimant de Dieu. Alors, aimer, consistera à trouver la vraie richesse hors de nous-mêmes. Et si la solitude ou le désespoir nous guettent, nous pourrons toujours lire notre vie avec les yeux de Dieu, avec ce regard d’amour inconditionnel pour qui rien n’est impossible. Amen.

Références bibliques : Sg 7, 7-11 ; Ps. 89 ; He 4, 12-13 ; Mc 10, 17-30

Référence des chants :

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