La célébration de ce dimanche nous plonge dans une situation paradoxale, où nous avons à tenir ensemble des choses qui ne s’accordent pas. Regardez par exemple ces vitraux commémorant une bataille dont nous fêtons le huit centième anniversaire. Certes, il s’agit d’une victoire marquant la naissance de la France. Mais comment, au beau milieu de ces faits guerriers et de ces morts, faire mémoire de Jésus, le Prince de la Paix ?
Autre paradoxe aujourd’hui : le 3 août 1914, il y a cent ans, l’Allemagne et la France entraient en guerre. Le secrétaire d’État chargé des Anciens combattants et de la mémoire a demandé à ce qu’une minute de silence soit observée en ce jour dans notre pays. Aussi, levons-nous et entrons ensemble, que nous soyons à Bouvines ou devant notre écran, dans cette minute de silence pour nous souvenir de la folie des hommes et interroger Dieu, notre Père : comment cela a-t-il été possible ?
C’est sur ce fond de silence et d’effroi que résonnent pour nous, aujourd’hui, de façon paradoxale, les mots étonnants de saint Paul. Il a le culot d’écrire aux habitants de Rome que rien, absolument rien, ne pourra nous séparer de l’amour du Christ. La mort ? Non, pas du tout ! La détresse ? Pas davantage. L’angoisse ? Encore moins. Saint Paul aurait sans doute pu compléter sa liste par : une grande guerre ? Non, pas même une grande guerre, à Bouvines ou dans le monde entier, ne peut nous séparer de l’amour du Christ.
Ces paradoxes semblent impossibles vivre. Ils pourraient même nous faire perdre la tête. Or, il n’en est rien. Car les lectures bibliques de ce dimanche nous dévoilent deux attitudes simples, deux gestes qui, vous le verrez, font entrer paisiblement dans une manière de faire de Dieu qui surmonte ces paradoxes.
Premier geste : ouvrir la main. Dieu procède ainsi avec tout être vivant. Nous l’avons chanté dans le psaume et nous l’avons vu dans l’évangile : Jésus offre à Dieu cinq pains et deux poissons, puis il les donne aux disciples, qui les donnent à leur tour. 5000 hommes à nourrir ! Mission impossible ? Non, pas du tout, il suffit d’ouvrir la main pour démultiplier. Ouvrir la main est aussi un signe pour offrir la paix. Impossible de se serrer la main poings fermés. Ouvrir la main : un geste simple, à la bonté et la paix contagieuses.
Second geste ? Une ouverture encore, mais un peu plus délicate, car il s’agit d’une ouverture intérieure, celle de nos entrailles : l’ouverture de notre cœur. Jésus, en voyant les foules venues l’écouter, est saisi de pitié, tellement bouleversé, qu’il les guérit et les rassasie. Jésus agit ainsi parce que son cœur s’est laissé ouvrir, dilater, transpercer, par la présence des foules. Et Dieu le Père ? Pareil ! Isaïe nous annonce qu’il voit les hommes et les femmes qui ont soif, soif de reconnaissance comme d’eau potable, soif de justice comme de tendresse, toutes choses indispensables pour vivre humainement. Voyant cette soif, le Père est retourné intérieurement, remué au plus profond de lui-même. Alors, il offre gratuitement du lait, du vin. Ouvert en plein cœur par la soif des hommes, le Seigneur donne la possibilité d’acheter sans payer pour que tous soient enfin désaltérés.
Derrière ces vitraux, il y a le monde réel avec ses conflits : divisions meurtrières entre musulmans, chiites et sunnites, mur de violence entre Israéliens et Palestiniens, ou encore persécutions à l’égard des chrétiens d’Orient. Ces conflits nous donnent soif de paix. Et cette messe va nous ouvrir à un amour qui fait la paix sans condition.
Le secret de Dieu pour que son règne de paix arrive au beau milieu de nos situations paradoxales ? Ouvrir la main, ouvrir son cœur. Alors, nous aussi, soyons à main et cœur ouverts. Et restons-le, comme le Christ, par amour pour ce monde.
Références bibliques : Is 55, 1-3 ; Ps. 144 ; Rm 8, 35.37-39 ; Mt 14, 13-21
Référence des chants : Liste des chants de la messe à Bouvines le 3 août 2014