Frères et sœurs, chers amis, c’est à proximité des moissonneuses-batteuses qui s’activent depuis plusieurs jours dans la vallée que nous retrouvons le champ qui a été si généreusement ensemencé par son propriétaire la semaine dernière. S’il était alors question de la qualité de la terre, plus ou moins favorable aux bonnes récoltes, voilà que l’évangile d’aujourd’hui nous parle d’un mystérieux ennemi, qui vient de nuit semer de l’ivraie au milieu du blé. Les passionnés de jardinage qui sont parmi nous le savent bien : l’inconvénient des mauvaises herbes, c’est qu’elles ressemblent parfois jusqu’à s’y méprendre aux plantes dont ils attendent les fleurs ou les fruits. Tout pousse ensemble, le bon comme le mauvais, de sorte qu’au bout d’un certain temps, il devient assez difficile de distinguer les tiges les unes des autres. La tentation est alors grande de recourir à la méthode forte, comme le proposent les serviteurs du maître, et d’appliquer tout son zèle à trier, sélectionner, arracher, éliminer… quitte à transformer le champ de blé en champ de bataille.
Or, c’est visiblement sur un autre terrain, ou plutôt vers une autre manière de travailler, que nous entraîne la parabole de ce matin. Oui, c’est vrai, semble vouloir nous dire Jésus, l’ivraie qui empoisonne le champ du monde et le cœur des hommes est scandaleuse et cela, soyez-en sûrs, Dieu ne le veut absolument pas. Mais vous qui êtes mes disciples, ne vous laissez pas aller à la facilité des jugements hâtifs ou définitifs. Au contraire, soyez patients avec le monde mélangé dans lequel vous vivez ! Soyez patients avec tous les cœurs mélangés que vous rencontrez, et avec le vôtre en priorité, car vous valez tous bien plus que vous ne l’imaginez !
Vous l’aurez compris frères et sœurs : à travers sa grande simplicité, la parabole du bon grain et de l’ivraie nous livre une belle leçon de respect pour les êtres et pour les choses. Le vrai zèle, celui qui change le monde, ne consiste-t-il pas d’ailleurs à triompher du mal par le bien et à rechercher ce qui reste à sauver en l’autre ? Laissons donc toutes leurs chances aux jeunes pousses, quand bien même leur qualité nous paraîtrait douteuse ! Et apprenons à lire au fond des cœurs les promesses des moissons à venir : il y a tant de générosité en nous et autour de nous qui ne demande qu’à être libérée, tant de richesses et de possibilités qui ne demandent qu’à être dévoilées !
Mais respecter les étapes de la croissance et l’imbrication des réalités, ce n’est pas seulement s’exercer à la patience et à la modération. C’est aussi découvrir, petit à petit, qui est ce Dieu que « sa domination sur toute chose rend patient envers toute chose » (Sagesse), ce « Dieu de tendresse, lent à la colère, plein d’amour et de vérité » (Psaume), dont la justice n’a décidément rien à voir avec la nôtre. Ce Dieu aux yeux duquel rien n’est jamais joué pour personne, parce qu’il croit en chacun au-delà de ses incertitudes ou de ses égarements.
À nous donc, qui sommes si souvent taraudés par les démons de la perfection et de la rentabilité, à nous qui sommes, non moins souvent, tentés de tirer sur la queue des radis pour les faire pousser plus vite, l’évangile de ce dimanche offre en modèle la patience d’un Dieu qui s’accommode des lenteurs de l’histoire et de son caractère inachevé. À nous, maintenant, d’accueillir avec la même patience, les contrastes de la vie du monde et ceux de notre propre vie, et surtout de les déchiffrer à la lumière des promesses qu’ils contiennent. À nous aussi de laisser le Dieu de la patience visiter nos champs intérieurs, afin que la grâce de son passage ne nous passionne pas tant pour l’ivraie qui pourrait y subsister, que pour la joie de témoigner de son désir de sauver toute vie. Amen.
Références bibliques : Sg 12, 13.16-19 ; Ps. 85 ; Rm 8, 26-27 ; Mt 13, 24-43
Référence des chants : Liste des chants de la messe à Bessans le 20 juillet 2014